Du 13 au 19 mars, c’est la semaine nationale de lutte contre le cancer. Tout le monde y va de son petit laïus sur la nécessité de combattre cette terrible maladie et de promouvoir la « prévention ». Prévention qui reste malheureusement encore trop ciblée sur les comportements individuels à risque : tabagisme, drogues, alcool, déséquilibre alimentaire. Nombre de cancers seraient évités avec des comportements individuels plus vertueux nous dit-on.
Ça ne vous rappelle rien ? Mais si, vous savez bien : pour lutter efficacement contre le changement climatique et la destruction planétaire en cours, il faut réduire sa consommation, changer ses comportements, trier ses déchets, etc. Ou comment la méga-machine capitaliste et techno-industrielle renvoie toujours à la responsabilité individuelle ce qui relève pourtant du choix de société collectif, de la société que nous voulons, bref du politique, au sens noble du terme. Et invisibilise à dessein les responsabilités immenses de certaines industries sur la dégradation de notre santé.
Certes le débat fait rage entre scientifiques sur le poids des facteurs environnementaux dans l’augmentation des cancers. Il n’empêche. Du chlordécone aux Antilles aux dernières révélations sur les PFAS (les fameux « polluants éternels »), les millions de tonne de pesticides que nous avons versées dans nos champs et nos cultures depuis des décennies font de nous des êtres humains subissant une poly-exposition constante à des cancérogènes probables, pour ne pas dire certains. De nombreuses études scientifiques ont démontré encore l’année dernière la présence de PFAS dans le cordon ombilical de toutes les femmes enceintes suivies[1]. Sans parler de la pollution de l’air, des centaines de millions de tonnes de plastique jetées chaque année dans l’environnement, de la généralisation de la malbouffe… Bref, notre mode de vie tue, l’environnement autour de nous, et nous-mêmes qui en faisons partie. Le nombre de nouveaux cas de cancers a augmenté de 65 % chez l’homme et de 93% chez la femme entre 1990 et 2018 et les cancers pédiatriques explosent parmi nos enfants[2].
En Auvergne-Rhône-Alpes, 42 400 nouveaux cas de cancers sont déclarés chaque année. Certes l’ARS (Agence régionale de santé) d’AuRA est mobilisée sur la lutte contre les cancers, mettant notamment l’accent sur la nécessité de réduire les inégalités sociales et territoriales en matière de dépistage et d’accès aux soins, dans une région très concernée par les déserts médicaux[3]. Certes le conseil régional s’engage contre le papillomavirus dans le cadre de son plan santé[4] pour sensibiliser notamment les jeunes et réduire les cas de cancer du col de l’utérus. Mais au-delà des campagnes de communication et des effets d’annonce, il est urgent de prendre le mal à la racine : en établissant enfin les responsabilités jusqu’à présent cachées sous le tapis des lobbies, en se dotant d’un principe de précaution digne de ce nom et en ayant une approche bien plus holistique de la santé, basée sur la santé environnementale et la santé globale.
Des enquêtes journalistiques viennent de démontrer par exemple les immenses pollutions aux PFAS que subit notre région, autour du site industriel de Pierre-Bénite dans la vallée de la chimie, à Rumilly en Haute-Savoie, et plus largement sur de nombreux autres sites, le long du couloir rhodanien, en Isère ou dans l’Allier. Les sols, l’eau et l’air sont très gravement pollués pour des générations. Il s’agit d’un scandale sanitaire majeur, sans nul doute source de développement de multiples cancers.
La région étant compétente en matière d’environnement, de santé environnementale, de développement économique et d’agriculture, tout faire pour dépolluer ces sites devrait constituer sa priorité absolue dans le cadre d’une politique de santé ambitieuse, pour le droit à un environnement sain de l’ensemble des habitantes et habitants d’Auvergne-Rhône-Alpes[5]. Tant que les intérêts des grandes firmes agro-industrielles prévaudront sur la santé humaine, les cas de cancers risquent bien de continuer de croître dans notre région. Il est urgent de conditionner enfin les subventions régionales versées aux entreprises au respect de critères sociaux et environnementaux ambitieux, selon une approche globale de la santé et non une vision dépassée.
Article écrit par Benjamin Joyeux, conseiller régional de Haute-Savoie.
Tribune publiée dans Libération ce jour en lien ci-dessous : https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/faire-du-cancer-un-objet-politique-20230316_OVPY3PEAKJCKHP7NUOWU3L23NY/?redirected=1
[1] Voir https://www.ewg.org/news-insights/news/2022/09/pregnant-pfas-threat-forever-chemicals-cord-blood
[2] Lire https://www.liberation.fr/societe/sante/les-cancers-pediatriques-en-mal-de-prevention-20220208_GJM2QDENWNDDVCQQIKE7N5TVIM/?redirected=1
[3] Voir https://www.auvergne-rhone-alpes.ars.sante.fr/la-strategie-de-lutte-contre-les-cancers-en-auvergne-rhone-alpes#:~:text=En%20Auvergne%2DRh%C3%B4ne%2DAlpes%2C,et%20col%20de%20l’ut%C3%A9rus.
[4] Lire https://www.auvergnerhonealpes.fr/actualite/papillomavirus
[5] Objet d’un vœu que nous avons fait adopter à la dernière assemblée plénière : https://ecologieaura.fr/202303ap-voeupfas/