Antidote contre l’extrême droite, en AuRA comme ailleurs

La semaine dernière, notre planète a battu deux records. D’une part, le record absolu de température moyenne quotidienne en surface, avec 17,23 °C, jeudi 6 juillet, battant le précédent record établi… la veille. D’autre part, le record absolu du nombre de vols commerciaux avec 134 386 vols le samedi 8 juillet. Alors que le débat prioritaire devrait être celui de l’habitabilité de notre planète, il est saturé par des angoisses identitaires et xénophobes. Partout, l’extrême-droite progresse dans les urnes comme dans les esprits, alors même qu’elle ne répond en rien aux défis écologiques qui nous font face. Benjamin Joyeux, conseiller régional (Haute-Savoie) explore quelques pistes de réflexion à ce sujet. 

Un moment « pré fasciste » de lepénisation de esprits

Soyons lucides, si la destruction du monde s’accélère, c’est aujourd’hui l’extrême droite qui semble en profiter politiquement. Et la droite, au lieu de la combattre, lui court après, comme en Auvergne-Rhône-Alpes. Les écologistes ont la responsabilité historique de rétablir les faits et de proposer quelques pistes d’antidote :

Un certain nombre de réactions immédiates qui ont suivi l’horrible agression au couteau sur des enfants à Annecy le 8 juin dernier l’a malheureusement démontré une fois de plus : nous semblons vivre un moment pré fasciste de montée des violences et de rejet de l’autre et de l’étranger extrêmement néfastes pour notre vivre ensemble. Alors que l’actuel effondrement du vivant et l’accélération du changement climatique donnent raison aux écologistes, ce sont les idées d’extrême droite qui semblent tirer les marrons du feu et contaminer progressivement l’ensemble de la société. Si l’on part de l’hypothèse que l’extrême droite est en effet une sorte de maladie, de gangrène du corps social, il convient donc de livrer une tentative de diagnostic susceptible de répondre à ce péril imminent. 

Comment en quelques deux décennies, si l’on part par exemple du 21 avril 2002, nous sommes passés de millions de personnes dans les rues de France, hébétées et choquées par l’accession au second tour de l’élection présidentielle de Jean-Marie Le Pen, à 88 député.e.s Rassemblement national entrant triomphant.e.s à l’Assemblée derrière la fille Le Pen en juin 2022, dans une sorte d’anesthésie générale ? 

Au début des années 2000, les sociologues Sylvie Tissot et Pierre Tévanian avaient sorti un petit livre simple et limpide, le Dictionnaire de la lepénisation des esprits1. Vingt ans plus tard nous y sommes ! Et cette lepénisation est observable chaque jour si l’on regarde par la lucarne du petit monde politico-médiatique, où les représentants du RN et de Reconquête, le parti néofasciste d’Eric Zemmour, ont désormais leur rond de serviette dans les émissions audiovisuelles et radiophoniques et viennent débattre tranquillement face à des journalistes dociles, même sur le service public, d’« invasion migratoire » et de « grand remplacement ». 

Or rappelons d’abord que nous vivons dans un Etat de droit constitué d’un certain nombre de règles juridiques nécessaires à appliquer si nous souhaitons pouvoir vivre ensemble. Et il en est une assez limpide : nous bénéficions, et beaucoup de pays dans le monde nous l’envient, d’une grande liberté d’expression. Or comme toute liberté, celle-ci a certaines limites, comme le racisme et l’incitation à la haine raciale, qui ne sont pas des opinions mais des délits. Donc quand Zemmour et les autres tristes thuriféraires de passions tristes viennent dans les médias ou dans les hémicycles parlementaires déblatérer sur le « péril migratoire », ce sont eux les délinquants ! Arrêtons de mettre sur le même plan des idées et propos d’extrême droite dangereux pour le socle de nos droits et libertés publiques et des actions ou propos émanant par exemple d’organisations écologistes dénonçant une action climaticide. Il ne s’agit même pas d’une différence de degré mais de nature. La Macronie est parfaitement irresponsable à cet égard en mettant sur le même plan les idées du RN et celles de la NUPES.

Quelques pistes d’antidote 

Pour combattre efficacement l’extrême droite, il faut donc se livrer sans cesse à un travail de déconstruction et d’explication pour ne pas la laisser contaminer le champ des idées. Deux auteurs peuvent nous y aider efficacement : Carl Gustav Jung2 d’abord, Antonio Gramsci3 ensuite. Le premier, célèbre psychiatre suisse, a développé le concept d’inconscient collectif. Et dans l’inconscient collectif français, deux périodes historiques extrêmement traumatisantes n’ont toujours pas été collectivement et entièrement explicitées et soldées : la Collaboration et la guerre d’Algérie. Or Jean-Marie Le Pen, le fondateur de cette petite boutique de haine qui ne cesse de grandir, s’est construit politiquement pile au carrefour de ces deux périodes4. Eric Zemmour dans tous ses livres et ses propos en fait de même5. Se livrer enfin à un examen complet et le plus objectif possible de ces deux épisodes de notre histoire française contemporaine permettrait déjà de régler un certain nombre de frustrations collectives et de soigner nos obsessions identitaires, meilleur carburant de l’extrême droite.

Gramsci ensuite, célèbre théoricien et dirigeant communiste italien emprisonné sous Mussolini, explique dans toute son œuvre comment la bataille culturelle précède toujours la victoire électorale. Et en matière de « bataille culturelle », la gauche a complètement abandonné la partie au lieu de tenir son rang, comme lorsqu’elle a sombré quand le Président François Hollande a validé une idée aussi absurde que la « déchéance de nationalité » au lendemain des attentats de novembre 2015. Ou comment valider dans la tête des gens l’idée fausse et extrêmement néfaste que des origines ethniques prédéterminent un parcours criminel. Tant de débats ont été soit mis sous le tapis soit abandonnés par la gauche en matière d’immigration que toutes les thèses d’extrême droite ont progressivement gagné la bataille des idées : abandon du droit de vote des étrangers aux élections locales, recul sur la laïcité en acceptant son instrumentalisation discriminatoire par la droite et l’extrême droite, inaction politique dans des périodes critiques comme les émeutes dans les quartiers populaires en 2005… Or il n’y a pas d’ « ennemis de l’intérieur », de « péril migratoire » et de « grand remplacement », toutes ces idées sont des fake news permettant de détourner l’attention du vrai sujet : l’actuelle destruction du monde par nos activités humaines.

Analyser correctement nos traumatismes historiques et livrer enfin la bataille culturelle sont les deux traitements préalables nécessaires à notre guérison collective.

Auvergne-Rhône-Alpes, laboratoire de la dérive de la droite française

Maintenant en ce qui concerne la droite dite « républicaine », celle qu’on observe notamment à la région Auvergne-Rhône-Alpes sous présidence de Laurent Wauquiez, il convient là aussi de rétablir les faits et de faire entendre raison face à une grave dérive idéologique6. Laurent Wauquiez, qui fut jeune énarque, normalien et agrégé d’histoire brillant, sait parfaitement tout cela et a pleinement conscience de ce que signifie la culture d’extrême droite. Ses pères politiques, de Jacques Barrot à Jacques Chirac en passant par Philippe Seguin, étaient tous de solides républicains partisans du cordon sanitaire face à l’extrême droite. Or aujourd’hui, par pur calcul électoral cynique, l’actuel Président de la région AuRA n’a de cesse de caresser l’extrême droite dans le sens du poil et de valider ses thèses, notamment identitaires. Et de dénoncer sans relâche les écologistes comme les vrais dangers pour notre démocratie, niant notamment la légitimité des majorités politiques à Lyon ou à Grenoble. 

Les écologistes ont ainsi une responsabilité historique face à l’extrême droite et à la droite extrême de Laurent Wauquiez tentée par un pacte faustien : celle de rétablir les faits et de mener courageusement la bataille culturelle, en reconstruisant là où la gauche a failli, et celle de renouer avec l’espoir, en proposant les vraies solutions susceptibles de stopper la destruction du monde. Si l’extrême droite est notre « côté obscur », l’écologie est sans nulle doute notre « Force ». Ne jamais oublier avec La Boétie qu’ils « ne sont grands que parce que nous sommes à genoux ».  

Benjamin Joyeux, conseiller régional de Haute-Savoie.

1Voir par exemple https://www.icigrandsboulevards.fr/product/515413/tissot-sylvie-dictionnaire-de-la-lepenisation-des-esprits 

2https://fr.wikipedia.org/wiki/Carl_Gustav_Jung

3https://fr.wikipedia.org/wiki/Antonio_Gramsci

4Ecouter à ce propos les excellents podcasts : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/jean-marie-le-pen-l-obsession-nationale?at_medium=Adwords&at_campaign=france_inter_search_dynamic_podcasts&gclid=CjwKCAjwyqWkBhBMEiwAp2yUFsxmJovtXG_drgLro5AsZ1NI2vhXIy_ajKaJnIkLLiE1oIV02-pbphoCyewQAvD_BwE  

5Voir par exemple https://www.radiofrance.fr/franceculture/les-contre-verites-d-eric-zemmour-sur-petain-et-vichy-5689659

6Lire https://blogs.mediapart.fr/benjamin-joyeux/blog/131222/auvergne-rhone-alpes-laboratoire-de-la-derive-de-la-droite-francaise

1 réflexion sur “Antidote contre l’extrême droite, en AuRA comme ailleurs”

  1. Merci pour ce brillant article, Benjamin Joyeux. Vous abordez des sujets cruciaux tels que le climat, la montée de l’extrême droite et le lien complexe entre ces deux aspects. Votre diagnostic de la situation est aiguisé, et les antidotes que vous proposez, à savoir la déconstruction des idées préconçues et la mise en avant de l’urgence écologique, me semblent pertinents. Nous devons absolument rétablir le débat autour de l’habilitabilité de notre planète, et ne pas laisser le climat de peur et de rejet de l’autre prendre le dessus. Vous avez parfaitement mis en lumière le rôle des écologistes dans ce contexte. Merci pour ces réflexions éclairantes.

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