Intervention de Bénédicte PASIECZNIK sur le soutien aux agriculteurs d’Auvergne-Rhône-Alpes

Monsieur le président, chers collègues,

18%. C’est la part des ménages agricoles vivant sous le seuil de pauvreté en France contre 13% en moyenne pour les autres ménages. Dans le même temps, l’endettement moyen des exploitations s’élève à plus de 200 000 euros.

Ce constat n’est pas acceptable. La politique agricole doit changer. Et la politique agricole de la région doit changer.

Oui ce rapport répondra aux difficultés de trésorerie de certaines exploitations. Mais, il est loin, très loin du compte au regard des crises profondes que traverse aujourd’hui l’agriculture, crise économique, sociale et environnementale.

Il est urgent de changer de politique agricole régionale, et pourtant ici encore, vous vous entêtez à soutenir un modèle en échec. 

En 1992, alors que je faisais mes études agricoles, mes stages m’ont conduite pendant plusieurs mois dans des fermes d’élevage bovin. 1992, c’était la réforme de la PAC, déjà beaucoup de questions sur la répartition des subventions, sur l’agrandissement des fermes, sur le transport des broutards sur des milliers de kilomètres pour des revenus très faibles. Déjà, je rencontrais des paysans fatigués, inquiets pour l’avenir de leur ferme.

Oui, nous écologistes, connaissons l’agriculture et ses difficultés. Nombre d’entre nous s’engagent sur les questions agricoles, habitent des territoires ruraux, certains d’entre nous sont agriculteurs ou travaillent avec les agriculteurs. Depuis novembre, dans la perspective de la loi d’orientation agricole, nous multiplions les rencontres dans les fermes avec les parlementaires écologistes. Bref, nous n’avons pas attendu les manifestations de janvier pour chausser nos bottes.

Et nous sommes allés rencontrer les paysans sur les barrages, sur l’A7, à Saint-Quentin-Fallavier, à Clermont-Ferrand.  Fin février, nous étions au salon de l’agriculture. Partout nous avons écouté, dialogué, à la fois avec des personnes non syndiquées et des représentants de tous les syndicats agricoles.

Augmentation des coûts des intrants, prix d’achat par la grande distribution et les industriels qui ne couvrent pas les coûts de production, concurrence déloyale… autant de raisons expliquant la crise en cours. Les règles environnementales ne sont pas le premier sujet abordé. Leur mise en œuvre administrative demande parfois à être simplifiée, mais c’est surtout la concurrence d’importations ne respectant pas ces règles qui posent difficultés.

Un certain nombre de paysans vivent mal de leur métier. La précarité alimentaire explose dans notre pays. Le libéralisme économique en matière agricole est un échec, il est temps de changer de cap et ça commence au niveau régional. 

La Région dispose de moyens importants sur l’agriculture, avec son budget propre et avec le FEADER. Elle doit protéger les paysans et paysannes, tout en contribuant à une meilleure accessibilité pour tous et toutes à une alimentation de qualité. 

Vous menez aujourd’hui une politique agricole sans cap, soutenant comme vous aimez le répéter “tous les modèles”. Pourtant l’argent public est rare. Au regard des crises que traverse l’agriculture, il doit être entièrement dédié aux urgentes transformations nécessaires, vers la souveraineté alimentaire, une meilleure rémunération des paysans et la protection de la santé, du vivant et des milieux.

Oui, la souveraineté alimentaire à toutes les échelles doit redevenir une priorité. Souveraineté à l’échelle de la ferme pour limiter les intrants. Produire avec des aliments du bétail importés n’est pas la solution. A l’échelle des territoires, il s’agit d’orchestrer des plans alimentaires territoriaux sur toute la région, pour faire travailler ensemble producteurs agricoles, transformateurs, consommateurs et organiser les circuits courts. La Région est absente sur ces sujets.

La commande publique avec la restauration collective est un puissant levier de développement de circuits de proximité pour des produits de qualité, en particulier biologique, avec un double objectif de garantir des marchés aux producteurs et d’offrir des repas de qualité aux élèves. Je le vois à la ville de Lyon où les cantines scolaires participent pleinement à cette dynamique de proximité. Nous vous interrogeons régulièrement sur votre politique pour accompagner les lycées de notre région… nous restons sur notre faim.

Mais la base de toute souveraineté alimentaire, la base, ce sont nos terres nourricières. Plus un seul hectare de terres fertiles ne doit partir à l’urbanisation ou à la construction d’infrastructures. Nous devons protéger ces biens communs, indispensables à l’agriculture. Et que faites-vous? Vous construisez des routes d’un autre temps, vous refusez d’organiser le zéro artificialisation nette… Pour des raisons politiciennes? Par manque de courage ? On ne sait pas… mais les terres agricoles continuent de disparaître. Alors que la Région devrait être à la pointe pour accompagner les collectivités pour mettre en œuvre les outils d’urbanisme circulaire, faire la ville sur la ville, transformer les friches industrielles, rénover les logements vacants, acheter des terres agricoles pour faciliter l’installation.  

Deuxième priorité, la rémunération des paysans. 18% des ménages agricoles se situent sous le seuil de pauvreté, 5 points au-dessus de la moyenne. En Auvergne-Rhône-Alpes, certaines filières souffrent particulièrement. Il s’agit d’abord de répartir différemment les aides de la PAC. Depuis 2009, nos représentants au Parlement européen ont voté contre les réformes de la PAC, ce n’est pas votre cas. Il s’agit de garantir des prix planchers aux producteurs, en encadrant les négociations avec centrales d’achats et industriels, en régulant les volumes de production, en contrôlant les marges abusives, en contrôlant les importations. Oui cette régulation des prix n’est pas facile, il faut travailler précisément par filière, par typologie de production, c’est un chantier complexe, mais il est indispensable de s’y atteler. Quel dommage de vous entendre, Monsieur le Président, là aussi baisser les bras !

Et au niveau régional, on vous attend plus actif pour soutenir la rémunération des producteurs grâce à une vraie politique sur les circuits courts, les produits sous signe de qualité et la commande publique.

Enfin, troisième grande priorité, la protection de la santé, du vivant et des milieux. Les premières victimes des conséquences de l’utilisation des pesticides sont les agriculteurs. Les risques de l’exposition aux pesticides chez les agriculteurs sont documentés, ce sont des risques accrus de développer des maladies neurodégénératives, en particulier la maladie de Parkinson, et certains cancers. Les agriculteurs et agricultrices voient aussi tout simplement leur outil de travail se dégrader avec les impacts du dérèglement climatique et de la crise écologique. Selon le GIEC, les pertes de récoltes liées aux sécheresses et aux canicules ont triplé ces 50 dernières années en Europe. 

Face à ces constats, les reculs environnementaux en cours aux niveaux, européen et national, sont indignes. Ne participons pas à cette fuite en avant au niveau régional. Que l’argent public soit dédié entièrement à cette urgente et indispensable transformation de l’agriculture. Conditionnons véritablement les aides aux investissements à des pratiques agro-écologiques. 

Pour les écologistes, la politique agricole tient sur ses deux jambes, elle doit protéger le vivant, les milieux, et elle doit prendre soin de ceux et celles qui nous nourrissent. 

La révolte paysanne n’est pas terminée. La crise agricole, les crises agricoles sont là, bien installées. Les politiques libérales ont échoué. Les solutions existent, changeons de modèle, et ça commence à la région !

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