Intervention de Cécile Michel sur la stratégie Mobilités 2035

C’est peu dire que la feuille de route sur les mobilités positives du quotidien 2035 et la nouvelle convention TER étaient attendues. 

A l’heure où vient de se conclure la COP 28 avec la plus grande difficulté du monde à se mettre d’accord sur un éloignement des énergies fossiles, et tenter de contenir l’élévation des températures mondiales à 1,5°, notre région se doit d’être exemplaire et d’activer tous les leviers concrets pour diminuer nos émissions de GES, diminuer notre empreinte carbone et notre impact sur l’ensemble des limites planétaires. 

Le propos est trop sérieux pour souffrir des habituelles critiques politiciennes et des caricatures. Je crois, j’espère, notre assemblée suffisamment à la hauteur de ces enjeux qui embarquent indiscutablement des enjeux de justice sociale et de cohésion territoriale. 

Alors, comment proposer une feuille de route des mobilités qui permette tout autant de maintenir voire améliorer la qualité de vie des habitantes et des habitants de notre région, en garantissant un droit à la mobilité pour tous et toutes et partout, tout en diminuant drastiquement les 15 millions de tonnes de CO2 émises par les transports en 2021, secteur le plus émetteur ? Le SRADDET nous fixe l’objectif de -30% de ces émissions à horizon 2030. Pourtant les derniers rapports scientifiques indiquent plutôt que nous n’avons plus que 6 ans pour atteindre la neutralité carbone. 

Avec cette feuille de route, quels objectifs de réduction visons-nous ? Aucun indicateur. 

Rien ne sera fait sans un recours à la sobriété, avant même le levier de l’efficacité et du  renouvelable, car il faut réduire notre besoin énergétique. Le réduire dans le cadre d’une sobriété choisie, organisée, anticipée et pas par le mirage d’un simple changement technologique. Par un changement de nos comportements, rendu possible parce que les politiques publiques structurent et organisent les solutions. 

Agir sur les mobilités, c’est organiser ces changements partout, en zone urbaine à Grenoble ou Clermont-Ferrand, et en milieu rural comme dans le Cantal, où aujourd’hui, l’offre en transport en commun n’a rien à voir avec celle de l’Isère. C’est agir sur les territoires péri-urbains, où une multiplicité de solutions existe avec plus de mobilités coopératives et actives, mais aussi le développement dans certains territoires de services express régionaux métropolitains. 

La feuille de route nous annonce de grands et lointains objectifs. Logique de viser loin en matière de mobilités, mais pourtant nous peinons ici à voir par quelles étapes et quels chiffrages ces grandes orientations pourraient être atteintes. Alors que la démarche d’élaboration de cette feuille de route s’appuyait sur des rencontres départementales afin de recenser les besoins et vraisemblablement décliner des orientations territoriales, rien de tout cela dans la version finale. 

Que retenir de cette feuille de route ? Sans doute son plan ferroviaire, dévoilé le 20 octobre dernier. Un plan conséquent à 5,7 milliards, l’addition de 12 années pour atteindre un chiffre marquant. Des annonces qui surprennent et laissent entrevoir le réveil d’une ambition ferroviaire de la part de l’exécutif.

Mais non, ce plan ferroviaire ce sont de grands chiffres comme autant de promesses lointaines sans engagement financier concret et immédiat. De grands chiffres que l’on peut faire disparaître, comme ont déjà disparu les 15 millions du projet de rive droite du premier mandat de Laurent Wauquiez. Le CESER pointe d’ailleurs le risque d’une variable d’ajustement. 

Ce plan ferroviaire, ce sont donc 3 milliards d’investissement pour les rames, incluant les 19 commandées en 2019 et 70 rames permettant de remplacer des voitures Corail qui sortiront du parc. Personne n’est dupe du retard pris. Certainement pas les usagers et usagères entre Lyon et Saint-Etienne, à Culoz ou à Vienne qui, jour après jour, s’entassent et le feront encore plusieurs années. 

Ce sont aussi 2,7 milliards d’investissement sur l’infrastructure, nous annonce-t-on. C’est bien, le chiffre est passé dans la presse. Il est gros et permet de ridiculiser encore un peu plus les montants annoncés par l’Etat au titre du CPER. Mais il n’y avait nul besoin de ce jeu-là. Évidemment, les montants annoncés par l’Etat pour le ferroviaire, pour développer les SERM comme pour maintenir ou rouvrir les petites lignes sont ridicules. Mais nul besoin de ce tour de passe-passe mensonger pour défier l’Etat et jouer encore au premier de la classe. Ces 2,7 milliards, ce sont pour 2,2 milliards, l’essentiel donc, des péages dûs à SNCF Réseau sur les 12 prochaines années. Rien de nouveau donc. Des montants nécessaires à la maintenance courante. Reste 500 millions pour probablement 2 projets, dont le Bus à Haut Niveau de Service Lyon-Trévoux… qui n’a rien de ferroviaire.   

L’absence de signature du CPER Mobilités ne saurait être minimisée une fois précisée cette tromperie d’investissement. Tous les investissements sont nécessaires aujourd’hui. Et si l’Etat ne met pas 1 euro dans notre région sur les lignes fines, c’est bien parce que vous avez rejeté la signature du protocole concernant ces “petites lignes”. La feuille de route 2035 prend acte d’un manque de volonté politique criant pour les lignes fines, pour nos territoires ruraux.  

Le choc d’offre annoncé, en passant de 220 000 à 300 000 voyageurs jour en 12 ans n’est qu’une augmentation de 2,6% par année. Loin, quand on observe les augmentations des dernières années en matière de fréquentation ferroviaire entre 10 et 15%, d’une réelle ambition ferroviaire. Les places supplémentaires dans les trains ne viendront qu’opérer un rattrapage. Votre « choc d’offre » est en réalité inférieur à la hausse tendancielle de la demande et est clairement incompatible avec le déploiement des RER métropolitains. 

Nous proposons donc plusieurs amendements à cette feuille de route car nous ne souhaitons pas que tout se joue entre 2033 et 2035.

La convention TER qui nous est présentée doit organiser le service pour les 10 prochaines années et organiser son découpage progressif. Cette convention met l’accent sur la qualité de services avec des indicateurs nouveaux, comme celui de l’emport et c’est une bonne chose. Nous remercions grandement les services pour le travail de longue haleine sur cette convention. Mais les conditions de sa négociation, qui ont conduit à cette présentation plus que tardive avec l’échéance fatidique de l’ouverture à la concurrence, sont à déplorer. L’apparition de trop nombreuses données sous le coup du secret des affaires ne permet pas un regard précis et très attendu, notamment des usagers et usagères, sur le service public mis en œuvre avec des financements publics. 

Si nous apprécions le passage en assemblée plénière de la convention, nous ne pouvons que souligner le simulacre démocratique dans lequel nous nous trouvons. C’est pourquoi, nous nous abstiendrons de tout amendement bien qu’il y ait beaucoup, beaucoup, à dire sur cette convention de transition. Nous serons particulièrement attentifs dans les mois à venir sur la mise en route de l’ouverture à la concurrence, à commencer par le lot Auvergne et par le lot de la distribution, susceptible de grande désorganisation du service. 

Que dire de l’absence d’une politique de tarification solidaire ambitieuse, efficace et équitable pour faciliter le report modal ? Que dire de la perspective des 10 000 consignes vélos supplémentaires qu’on imagine décidée au doigt mouillé tant cela manque d’éléments de concrétisation et de priorisation, une augmentation pourtant nécessaire. 

Si évidemment il est indispensable d’engager, en complément de mesures fortes pour l’augmentation des transports en commun, une politique de décarbonation, nous ne pouvons souscrire à ce qui est présenté dans la feuille de route. Sous couvert de décarbonation des déplacements, c’est en réalité un plan de bitumisation des routes qui n’est pas acceptable. Ce n’est en aucune manière un plan qui viserait à faciliter le changement vers des énergies propres, et permettrait d’accompagner avec équité les personnes pour qui la charge financière de ces évolutions sera forte, éviter de sombrer, parfois un peu plus, dans une précarité énergétique.

C’est surtout un plan d’accélération de la destruction de la biodiversité que nous refusons. 

Alors à regret, nous nous abstiendrons sur ce plan. A regret, car nous espérions un plan mobilités ambitieux et sérieux, et non pas un plan en trompe-l’oeil. Nous espérions un plan à la hauteur des enjeux sociaux ne laissant personne, ni dans l’assignation à résidence, ni dans la surcharge de coûts financiers exorbitants, à la hauteur des enjeux de cohésion entre les territoires de notre région, à la hauteur des enjeux climatiques

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut