Intervention de Benjamin JOYEUX sur le rapport “La Région aux côtés de l’Arménie”

Monsieur le Président, cher.e.s collègues,

Dans la nuit du 12 au 13 septembre dernier, l’Azerbaïdjan a donc agressé l’Arménie, comme il est rappelé dans le rapport, en violation totale du cessez-le-feu. Il y a dans cette histoire clairement un pays agressé, l’Arménie, et un agresseur déclaré, l’Azerbaïdjan, au mépris du droit international et de la Charte des Nations Unies.

C’est pourquoi il nous semble nécessaire aujourd’hui que notre région condamne fermement les dernières attaques de l’Azerbaïdjan et affirme son soutien et sa solidarité avec l’Arménie et l’ensemble de sa population.

Une fois dit cela, il semble néanmoins nécessaire de replacer ces évènements dans leur contexte géopolitique. Un contexte qui doit non seulement nous empêcher de reproduire les erreurs du passé, mais surtout de tenter de contribuer par les actions éventuelles de notre collectivité à la recherche d’une paix durable dans la région. Il ne s’agit ni de contribuer à la détérioration des relations entre deux Etats ni de tomber dans le piège du « choc des civilisations », tel que théorisé par Samuel Huntington en 1996. Une théorie qui verrait dans la défense inconditionnelle de l’Arménie celle d’un territoire rempart chrétien dans la zone, à protéger face à un Etat agresseur à majorité musulmane.

Le climat actuel de désagrégation de l’ordre international et de montée des tensions doit nous inciter à l’extrême prudence et à la plus grande des responsabilités.

Tout d’abord, rappelons que l’Arménie est dirigée aujourd’hui par Nikol Pachinian, ancien journaliste et militant aguerri de la paix et de l’Etat de droit, arrivé au pouvoir à Erevan en 2018 après une révolution non-violente. Mais avant lui, le pays a été notamment dirigé par Serge Sarkissian et Robert Kotcharian. Ces ultra-nationalistes étaient opposés à toute négociation avec l’Azerbaïdjan et avaient contribué à envenimer les relations et à bloquer la possibilité de résolution du conflit autour du Haut-Karabagh. Ce malgré les efforts du groupe de Minsk pour trouver une issue pacifique à ce conflit depuis 1992.

Du côté de Bakou, Ilham Aliyev a succédé à son père en 2003 et reste depuis à la tête de l’Azerbaïdjan, selon un système autocratique bien éloigné des standards démocratiques. L’Azerbaïdjan reste en queue de peloton dans tous les classements sur les droits humains. Il est donc d’autant plus aisé aujourd’hui de prendre fait et cause pour l’Arménie.

Mais si les Etats restent, à plus ou moins long terme, les régimes politiques et les dirigeants, eux, changent beaucoup plus rapidement. D’où la nécessité de faire preuve de discernement quant aux partenariats à l’international. Rappelons par exemple qu’en février 2019, Inam Karimov, le ministre azerbaïdjanais de l’Agriculture, avait été reçu par Alain Berlioz-Curlet, alors conseiller régional de la majorité, pour développer une coopération agricole entre Bakou et notre région. Rappelons également qu’en juillet dernier, la présidente de la Commission Ursula von der Leyen, et la commissaire chargée de l’énergie, Kadri Simson, ont signé à Bakou avec le président Aliyev un partenariat stratégique dans le domaine de l’énergie. Un partenariat visant à permettre à l’UE de se désintoxiquer du gaz russe de Poutine mais qui pose de sérieuses questions quant à notre vision européenne du respect des droits humains, à géométrie variable fonction de nos intérêts économiques.

Donc la véritable question est celle de la vision qui sous-tend chacun de nos partenariats. Si celle-ci se situe dans une stricte perception néolibérale et n’ayant que faire des droits humains ou du climat, au final on se retrouve bien souvent dans un accord perdant-perdant.

A chaque fois que nous nous fourvoyons dans des partenariats avec des régimes ne respectant pas l’Etat de droit, c’est la parole des Européens qui est décrédibilisée et ce sont tous les apprentis dictateurs de la planète qui se sentent renforcés. C’est parce que nous étions totalement dépendants du gaz russe que nous avons laissé Poutine agir de la sorte. Et celles et ceux qui ont tant tardé à critiquer du bout des lèvres le criminel de guerre du Kremlin sont les mêmes qui hier voyaient en lui le meilleur rempart du « monde chrétien » contre l’hydre musulmane.

C’est parce que nous avons notamment sous-traité la « gestion » des migrants au Président Turc à partir de 2016 que nous nous trouvons dans cette dépendance néfaste vis-à-vis d’Ankara aujourd’hui et qu’Erdoğan se sent libre d’agir à sa guise en déstabilisant nos démocraties ou en soutenant Bakou contre Erevan.
Et c’est aussi parce que nous comptons sur le gaz de Bakou pour sortir du gaz russe que le régime Aliyev se permet d’attaquer l’Arménie de la sorte.
Quand il s’agit de défendre leurs propres intérêts géopolitiques, et notamment la reconstitution illusoire d’empires disparus, ottoman pour l’un, russe pour l’autre, le Frère musulman Erdogan et l’orthodoxe Poutine peuvent très bien s’entendre sur le dos de la paix et des droits humains.
Ce n’est donc pas un choc des civilisations qui nous occupe aujourd’hui, mais un conflit provoqué également par nos principes à géométrie variable et notre dépendance aux énergies fossiles qui entretiennent et renforcent les dictatures à travers le monde.

Il est donc plus qu’urgent de conditionner enfin strictement nos partenariats internationaux au respect des droits humains, du climat et notamment de l’Agenda 2030 des Nations Unies endossé par la France. La région AuRA a l’opportunité de pouvoir se montrer exemplaire en la matière, tant vis-à-vis de l’Arménie que du reste du monde, en Chine, en Afrique, dans les territoires palestiniens occupés et ailleurs.

Et il semble nécessaire de nous doter, comme le font les Etats-Unis dans leur projet d’aides à la construction de routes en Arménie, de tous les instruments de contrôle permettant un strict suivi de nos partenariats et de leurs principes. C’est tout le sens des deux amendements que nous vous proposons pour ce rapport.

Comme le disait si bien Vaclav Havel : « Les droits de l’homme et les droits civiques universels ne seront respectés qu’à une condition. Il faudra que l’homme se rende compte qu’il est « responsable pour le monde entier ». “
Je vous remercie.

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