Combat anti-genre : la tactique réactionnaire de Laurent Wauquiez

Tolérance

Attitude de quelqu’un qui admet chez les autres des manières de penser et de vivre différentes des siennes propres.

Pour que chacun puisse s’épanouir pleinement tout en cohabitant avec les autres dans la société, mais aussi pour assurer le pluralisme au sein de notre démocratie, la tolérance est une qualité indispensable. Elle est même la “vertu qui rend la paix possible”, selon Kofi Annan, car elle est la condition de la coexistence des individus. 

L’histoire de notre pays, et ce qui en fait un pays progressiste et encore vu comme tel, est liée aux grands principes issus des Lumières et de la Révolution française. 

Regardons le fronton de nos mairies : Liberté, égalité, fraternité. Nous voilà dans un pays où les citoyens sont égaux et libres, libres de s’exprimer mais où cette liberté a des limites : celle de respecter et de ne pas porter atteinte à autrui. Et puis, cette fraternité revendiquée, c’est bien le renforcement d’un sentiment d’appartenance à une même famille. Il est ainsi dans l’ADN de la France de vouloir tendre vers une société multi-culturelle plutôt qu’une simple coexistence de communautés.

Le principe de laïcité, si particulier dans notre pays, est l’illustration de ce désir de vivre-ensemble et de tolérance : garantir la liberté de conscience pour tous et proposer un cadre qui ne sature pas, “qui promet que l’espace autour de nous restera non saturé des convictions ou des certitudes des uns et des autres”, comme l’exprime la rabbine Delphine Horvilleur. 

À rebours, Laurent Wauquiez a fait de la Région Auvergne-Rhône-Alpes la tribune et l’instrument d’une idéologie en grande partie intolérante envers certaines catégories de la société, en particulier les minorités sexuelles et de genre – couramment désignées comme LGBT+ -. Pourquoi ? pour imposer une vision conservatrice, unique et imposée de la société et de la famille. En empiétant sur les libertés individuelles, cette conception est incompatible avec les idéaux de liberté et d’égalité inhérents à la République, dont Laurent Wauquiez se veut l’héroïque défenseur.

Ce chapitre se concentre donc essentiellement sur l’intolérance de Laurent Wauquiez envers les LGBT+, même s’il applique aussi cette logique de façon large, en défendant une vision fermée de l’identité nationale ou de la laïcité, ce que nous aurons tout le loisir d’explorer dans de futurs chapitres.

L’engagement de Laurent Wauquiez contre les droits des minorités sexuelles et de genre remonte à déjà plus d’une décennie, avec son opposition frontale au Mariage pour tous, porté à l’époque par le gouvernement socialiste de François Hollande. Avec en 2015 des personnalités homophobes dans sa liste pour les élections régionales, Laurent Wauquiez a ensuite fait d’Auvergne-Rhône-Alpes le laboratoire d’expérimentation d’une politique de dénégation des droits et d’exclusion des minorités LGBT+. Ces dernières années, sa volonté d’empêcher la libération des minorités sexuelles et de genre s’est manifestée par l’agitation de l’épouvantail du wokisme, grand fantasme de la droite radicale et de l’extrême droite pour justifier leur offensive contre le progrès social et sociétal.

De La Manif pour tous…

Il y a dix ans, déjà, alors jeune député, il s’opposait de façon virulente à l’ouverture du mariage aux personnes homosexuelles, il révélait du bout des lèvres que l’homosexualité était contraire à ses valeurs et refusait catégoriquement de procéder à des mariages homosexuels à la mairie du Puy-en-Velay ; quoi de plus naturel pour lui de soutenir La Manif pour tous, collectif d’associations luttant contre le mariage pour tous ? En réalité, l’objectif est bien d’imposer la filiation père-mère-enfant comme modèle unique de la famille1, modèle traditionnel hérité de notre “culture judéo chrétienne”.

Pourtant, même si La Manif pour tous se présente comme aconfessionnelle et apolitique, l’essentiel de ses composantes et de ses soutiens est proche de la religion catholique, des mouvements les plus conservateurs et traditionalistes de la droite, et flirte avec l’extrême droite. L’activisme de Laurent Wauquiez, fervent défenseur de la droite catholique, en faveur de ce mouvement, a bien sûr pour objectif de câliner les réservoirs de voix que constituent les communautés catholiques conservatrices. Logique pour Laurent Wauquiez d’inclure sur sa liste, pour les élections régionales de 2015, des personnalités de Sens Commun, bras politique de La Manif pour tous, comme Anne Lorme, qui avait exprimé son souhait de couper les subventions de la Région aux associations LGBT+ et à SOS Racisme. En 2022, Sens Commun s’est ralliée à la candidature d’Eric Zemmour…

Encadré : Une lutte intestine contre les LGBT+ à la Région

La proximité de Laurent Wauquiez avec La Manif pour tous n’est pas son seul fait d’armes en matière de destruction des droits des minorités sexuelles et de genre. Depuis son investiture à la Région en 2016, son action contre le progrès de leurs droits est ainsi constante. 

Dès son élection, les festivals culturels LGBT+ Face à Face, à Saint-Etienne, Ecrans Mixtes, à Lyon, et Vues d’en Face, à Grenoble, se sont ainsi vu retirer leurs subventions de la Région, tout comme d’autres associations du secteur, ou encore le Planning familial, dont les subventions destinées à la contraception ont été diminuées de 30% en 2016. Il en va de même pour les actions de santé sexuelle et de sensibilisation aux discriminations dans les lycées, comme la Quinzaine de l’égalité hommes-femmes, qui ne sont plus soutenues par la Région, soi-disant parce qu’elles promeuvent la théorie du genre.

En décembre 2021, Laurent Wauquiez s’était certes engagé devant les conseillers régionaux à travailler sur des actions de lutte contre les violences homophobes et transphobes, mais rien n’a encore été mis en place. 

En mars 2022, le contrat d’engagement républicain adopté par Laurent Wauquiez ne mentionne pas l’identité de genre comme motif de discrimination, alors qu’il est inscrit dans la loi !

… à la lutte contre le wokisme

Ces dernières années, le combat idéologique de Laurent Wauquiez s’est déployé plus amplement face à l’émergence médiatique du “wokisme”, terme largement approprié et instrumentalisé récemment comme un grand épouvantail par la droite conservatrice ou réactionnaire, d’Emmanuel Macron à Eric Zemmour. Alors que le terme woke désigne au départ “le fait d’être conscient des problèmes liés à la justice sociale et à l’égalité raciale”, ce qui s’étend à la question des minorités LGBT+ ou encore à la lutte contre le changement climatique, il est aujourd’hui employé pour fustiger les mouvements et les idées progressistes, en particulier la prétendue idéologie du genre qui aurait la mainmise sur la société. 

Encadré : Sciences Po Grenoble : un cas d’école

Laurent Wauquiez est un grand spécialiste de cette utilisation du “wokisme” comme repoussoir. En 2021, l’Institut d’études politiques de Grenoble (Sciences Po Grenoble) avait fait l’objet de l’arrêt des financements régionaux pour ses prétendues “dérives idéologiques” et son “wokisme”, après la suspension d’un professeur d’allemand. La direction de l’IEP, tout en assurant défendre la liberté d’expression, la liberté d’enseignement et le débat scientifique, a invité Laurent Wauquiez à échanger et à se rendre sur place pour lui montrer que la réalité de l’enseignement sur place est bien différente de la tempête médiatique et de l’exagération idéologique dont il est l’objet. La réaction de Laurent Wauquiez est de toute façon critiquable car elle manque sa cible : les financements régionaux concernaient surtout des bourses à destination des étudiants de Science Po Grenoble, et non le fonctionnement de l’institut. Cette décision de la Région a été applaudie à l’extrême droite par Marine Le Pen et Eric Zemmour, signe là encore d’une porosité idéologique.

De toute façon, sur cet épisode, Laurent Wauquiez trouve un prétexte pour couper les subventions à ceux qui ne pensent pas comme lui, ou s’opposent à lui, comme dans d’autres domaines.2

Il est ainsi amusant de constater que ceux qui dénoncent l’infiltration – exagérée et fantasmée – d’une idéologie dite d’extrême gauche au sein de nos universités, plutôt que de vraiment soutenir la pluralité des opinions et le débat scientifique, répondent par des préjugés et des arguments qui n’en sont pas. 

Quelle est la base de ce déni de droit envers les minorités LGBTI+ ? Des idées en réalité sans aucun fondement scientifique. Intolérance, vieilles peurs et préjugés, qui s’appuient sur des références anciennes, à peine masquées : l’épisode de Sodome et Gomorrhe qui annonce la chute !

Mais la chute n’est pas là : lorsque Laurent Wauquiez emboîte le pas de ces mouvements rétrogrades, en jouant avec les peurs, celle de l’inconnu, de “l’anormal”, et non en s’appuyant sur des connaissances et un discours rationnel, il déclasse la parole politique.

Pourtant, on ne peut pas nier l’existence des minorités LGBT+, qui doivent être acceptées et non combattues, d’abord parce qu’elles n’ont pas choisi leur orientation, comme on ne choisit pas sa couleur de peau, et que c’est une terrible injustice de ce fait. Ensuite parce qu’après tout, elles ne posent aucun danger pour autrui ou pour la société, contrairement à ceux qui aimeraient les voir disparaître !

Le mariage pour tous et les autres avancées des droits de ces groupes, depuis la légalisation de l’homosexualité dans les années 1980, n’ont ainsi pas entraîné notre société dans l’apocalypse, comme certains discours catastrophistes d’extrême droite aiment à le prétendre.

Conclusion

La dénonciation d’une prétendue “dictature intellectuelle” wokiste face à des acteurs qui ne prônent en réalité que la compréhension et l’acceptation de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre de tous, sans discrimination ni injustice, tient donc du pur repli conservateur et identitaire. Laurent Wauquiez tente ainsi de faire passer des idées progressistes et tolérantes comme quelque chose qu’on chercherait à imposer à la société, alors que c’est précisément l’inverse qui est recherché : que chacun soit libre sans qu’autrui lui dicte ce qu’il est, ce qu’il veut, ce qu’il vit. Ce sont bien Laurent Wauquiez et ses amis, surtout à l’extrême droite, qui cherchent à imposer un mode de pensée et un mode de vie unique, fondé sur une vision étriquée de la société, de la culture et de la famille, qui ne laisse aucune place à la liberté des individus et à la diversité. La prétendue lutte contre le wokisme de Laurent Wauquiez s’inscrit, à une plus large échelle, dans un mouvement international, allant des Etats-Unis à la Russie, en passant par la Hongrie et la Pologne, qui cherche à réprimer les droits des minorités LGBT+. Ceux qui affirment lutter contre le wokisme sont en réalité bien plus dangereux que ceux qu’ils prétendent combattre3, et ce sont eux qui cherchent à enfermer la société dans un ordre moral fermé et répressif, sans liberté, sans égalité, sans diversité.


1https://www.youtube.com/watch?v=p3s8fFMdWl8

2Voir le chapitre “Clientélisme : subvention contre bulletin de vote”

3https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/05/02/l-antiwokisme-est-infiniment-plus-menacant-que-ledit-wokisme-auquel-il-pretend-s-attaquer_6171801_3232.html

1 réflexion sur “Combat anti-genre : la tactique réactionnaire de Laurent Wauquiez”

  1. Bonjour,
    Heureuse initiative, mettre en ligne les errements d’un président de région en pleine dérive ultra-droitière, plus proche des bataillons de civitas que des bénévoles de l’abbé Pierre, d’un borgne de montretout que de Jean Monnet, j’imagine que ce ne sont pas les saillies du décoloré qui doivent manquer !
    Toutefois, votre lecture m’est difficile, cos articles dans leur présentation manquent cruellement d’agrément, l’impression d’un retour dans le temps et les écrans en 80 caractères dans une police non proportionnelle, dois-je ressortir mon vieux Comodore 64 ? Par pitié donné un peu d’air, de couleurs et d’images, voire du son !
    Bonne continuation !

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