Le Wauquisme en guerre contre la police… de l’environnement

Avec l’hystérisation du débat public réclamée par des réseaux sociaux insatiables, l’heure n’est plus à la mesure mais à la recherche du buzz permanent par la polémique. Ainsi de la dernière sortie de Laurent Wauquiez contre l’Office français de la biodiversité. Alors que les commentateurs ne cessent de dénoncer les dangers du wokisme, ceux du « wauquisme » sont à surveiller de près.

Depuis qu’il ne préside plus notre hémicycle régional, appelé par sa présupposée destinée nationale à de plus vastes aventures présidentielles, Laurent Wauquiez, le « Seigneur des panneaux » pour les initiés, ne manque jamais une occasion de faire parler de lui.  C’est ainsi que le 23 janvier dernier, il a réclamé, dans une de ses vidéos buzz dont il a le secret, la suppression pure et simple de l’Office français de la biodiversité (OFB), accusant cet organisme de venir « contrôler les agriculteurs avec un pistolet à la ceinture. » Diantre, rien que ça ?!  L’ex-président de la région Auvergne-Rhône-Alpes venait également répondre à la désormais célèbre « affaire du castor », lorsqu’un éleveur a comparu devant la justice le 7 janvier dernier pour avoir détruit un barrage de castors qui menaçait ses cultures [1].

© Benjamin Joyeux

Kezaco l’OFB ?

Mais avant toute chose, l’OFB, qu’est-ce que c’est ? C’est un établissement public de l’Etat créé par une loi de juillet 2019 pour surveiller et préserver la biodiversité et la gestion de l’eau, résultant de la fusion entre l’Agence française pour la biodiversité (AFB)[2] et l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS)[3]. Au-delà de tous ces acronymes dont nous sommes si friands, ces deux institutions plus anciennes ont été ainsi fusionnées par le législateur dans une optique de rationalisation et d’efficacité. Une logique qui n’est pas censée déplaire à la droite républicaine du sieur Wauquiez, qui a d’ailleurs voté au Sénat la loi de 2019, après avoir bataillé avec succès en faveur du lobby de la chasse et de sa place consolidée au sein de la nouvelle institution[4]. L’OFB, c’est surtout 2800 agents répartis sur tout le territoire. En Auvergne-Rhône-Alpes, l’Office français de la biodiversité regroupe 235 agents, a son siège à Bron, compte douze services départementaux et dispose d’une unité spécialisée sur les milieux lacustres à Thonon-les-Bains, dans mon département de Haute-Savoie. Et l’Observatoire régional de la biodiversité constitue un outil extrêmement riche et utile en informations sur l’état de la faune et de la flore d’Auvergne-Rhône-Alpes[5]. Tout cela pour un budget national annuel d’un peu plus de 400 millions d’euros.

Ça peut paraître beaucoup, mais comparé aux 13 milliards d’euros de budget annuel et aux plus de 150 000 agents de la police nationale par exemple, au regard de l’ampleur des missions de l’OFB, c’est finalement bien peu de choses : en effet, 17 % des espèces de faune et de flore sont aujourd’hui menacées ou éteintes en France, et leur risque d’extinction a augmenté de près de 14 % en moins de dix ans. Ce dans un contexte global de 6e extinction de masse et d’effondrement du vivant[6]. Quant à la gestion de l’eau, étant donnée l’ampleur de la contamination aux polluants éternels (les désormais tristement célèbres PFAS) que l’on commence tout juste à entrevoir[7], la nécessité de disposer d’une police de l’environnement efficace et donc de renforcer l’OFB plutôt que de la supprimer, devrait faire l’objet d’un consensus largement partagé au sein de la classe politique.

La politique contre la science

Mais voilà, alors que Donald Trump vient de s’emparer pour la 2e fois de la Maison Blanche, il ne s’agit plus d’être à l’écoute de la science et de la raison mais de jouer à fond la carte de la polarisation pour exister et se fidéliser une clientèle électorale, quitte à raconter n’importe quoi et dire le contraire de ce que l’on racontait la veille, sans aucun scrupule. Et pour cela, la méthode la plus efficace est celle des boucs émissaires, réceptacles bien commodes de tous nos maux. Ennemis de l’extérieur, étrangers en général et musulmans en particulier, et ennemis de l’intérieur, minorités ethniques et sexuelles et dangereux « écoloboboislamovéganogauchistes » des villes qui viendraient « jusque dans vos bras égorger vos fils, vos compagnes ! »

Puisque ça a marché aux Etats-Unis, ça va bien marcher en France se disent certains, surtout à droite, comme notre actuel Premier Ministre François Bayrou qui a ouvert le ball-trap contre l’OFB en parlant de « faute »[8], avant que Laurent Wauquiez ne vienne surenchérir avec son habituel sens de la mesure.

L’amendement qui vient d’être adopté au Sénat pour supprimer l’Agence Bio est exactement dans le même ordre d’idées. Et qui donc l’a porté ? Laurent Duplomb, sénateur Les Républicains de … Haute-Loire, tiens donc ? Le fief de Laurent Wauquiez. Fidèle parmi les fidèles[9]. Que l’agriculture biologique, pourtant de plus en plus plébiscitée et bien meilleure pour notre santé[10], soit en danger, qu’importe. Le bio a désormais Duplomb dans l’aile. Tous les moyens sont bons pour fidéliser la clientèle agricole inféodée aux éléments de langage de la FNSEA[11].  Si demain la Terre doit être plate, et bien soit !

Police armée… sauf pour notre santé ?

Et c’est ainsi que le wauquisme continue de mener sa bataille culturelle à l’échelle nationale, après avoir essaimé à l’échelle de notre région Auvergne-Rhône-Alpes, comme nous essayons de le documenter depuis plusieurs mois[12]. L’idée est bien de reprendre les vieilles antiennes de l’extrême droite et de jouer en permanence la carte de la polarisation, Paris contre les régions, « écolos des villes » contre « braves gens » des champs, courageux agriculteurs contre cynique administration, etc. L’actuelle présidente de l’OFB Sylvie Gustave-dit-Duflo, a beau rappeler que « seuls 7,5 % des contrôles annuels exercés par l’OFB ont un rapport avec le monde agricole » et que la probabilité pour qu’une exploitation agricole soit contrôlée est « d’une fois tous les 120 ans »[13], cette police de l’environnement, nouvel ennemi à abattre, doit donc être désarmée avant d’être supprimée.

L’ironie de l’histoire retiendra que Wauquiez et ses affidés qui ne cessent, en Auvergne-Rhône-Alpes comme au national, de pousser des cries d’orfraie contre l’insécurité et de réclamer toujours plus de caméras, d’armes léthales et de moyens supplémentaires pour les forces de l’ordre à tous les niveaux[14], sont les mêmes qui appellent à désarmer et à supprimer l’OFB. Une police simplement en charge de faire respecter les lois et règlements censés protéger avant tout notre santé des diverses pollutions et dérives maintes fois documentées de certaines pratiques agricoles et industrielles néfastes. Lutter sans relâche contre l’insécurité donc, mais visiblement dans les quartiers pour les populations à stigmatiser, pas dans les campagnes pour des chasseurs ou des agriculteurs considérés comme clientèle électorale captive. Pour l’intérêt général, on repassera. Non décidément, le wauquisme n’est pas un humanisme ![15]

Le wauquisme contre l’écologie, rien de « positif »

En attendant le résultat du match Hugo Clément/Laurent Wauquiez par réseaux sociaux interposés sur le sort de l’OFB[16], nous observons qu’en Auvergne-Rhône-Alpes le wauquisme, malgré le départ de son illustre thuriféraire, continue sa guerre contre tout ce qui relève de l’environnement sous la présidence de Fabrice Pannekoucke. Tant et si bien que le vice-président de la région en charge de « l’écologie positive » (sic) Thierry Kovacs a préféré démissionner, le 5 décembre dernier, plutôt que de cautionner un budget raboté de 10 millions d’euros[17].

F. Pannekoucke dans l’hémicycle, sept. 2024 © Benjamin Joyeux

Finalement cette polémique assez pitoyable autour du rôle de l’OFB, sur fond d’effondrement dramatique de la biodiversité, fait penser aux critiques récurrentes exprimées dans les milieux de droite et d’extrême droite à l’encontre du GIEC[18] quant à la réalité du changement climatique. Au fur et à mesure que la crise écologique s’aggrave, le climato-scepticisme devient en effet, comme il vient de prendre le pouvoir à Washington, l’horizon incontournable du populisme français[19].

Mais tout comme il ne sert à rien de casser le thermomètre lorsque l’on a de la fièvre, faire mine de s’en prendre à l’écologie face aux effondrements en cours, comme stigmatiser l’OFB au lieu de protéger la biodiversité, n’a aucune autre conséquence sur le réel que celle d’augmenter les violences et les tensions tout en nous faisant perdre un temps précieux. Notre pays tout comme notre région méritent bien mieux que ces pathétiques coups de menton.

Supprimer l’OFB correspond bien à ce que disait l’auteur américain Peter Drucker : « Il n’y a certainement rien d’aussi inutile que de faire très efficacement ce qui ne devrait pas être fait du tout. »

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