Lycées : un laboratoire des obsessions wauquistes

325 000 lycéens et lycéennes, 304 lycées publics, 6 800 agents régionaux, un budget d’environ 842 millions d’euros en 2023, les lycées représentent une compétence majeure de

la Région. Une telle compétence peut être un puissant levier de transition écologique, de soutien à l’émancipation de la jeunesse et d’excellence du service public… En Auvergne-Rhône-Alpes, ce n’est pas l’option qui a été choisie, Laurent Wauquiez préfère la dette écologique à la dette financière, soutient l’excellence individuelle au détriment de véritables ambitions pédagogiques, prétend sécuriser et privatise.

Plus aucun lycée en mauvais état en Auvergne-Rhône-Alpes ?

C’est bien ce qu’affirmait l’exécutif lors de la rentrée scolaire de septembre 2022. Pourtant les constats sur le terrain contrastaient avec les communications dithyrambiques de Laurent Wauquiez. Après de nombreuses questions à ce sujet restées sans réponse, les groupes écologistes et de gauche ont donc demandé, comme le permet la loi, une mission d’information et d’évaluation. Début 2023, après le refus de Laurent Wauquiez, les mêmes groupes politiques ont monté leur propre Mission Lycées, mission d’évaluation citoyenne avec une plateforme participative qui a permis de recueillir 5 716 témoignages, soit 2% des élèves des lycées publics. Les constats sont accablants. Sur les 26 portraits détaillés réalisés, 6 lycées apparaissent en très mauvais état et 11 en état médiocre : fuites d’eau, bâtiments amiantés non rénovés depuis 40 ans, algecos installés depuis des décennies, … Certains territoires sont défavorisés, à l’instar de l’Ain où tous les établissements présentent des problèmes. Les lycées publics généraux et technologiques sont plus favorisés que les lycées publics professionnels. Mais les disparités les plus importantes se font au bénéfice des lycées privés et de ceux dont l’indice de position sociale est le plus élevé.

Les trois grands enseignements de cette mission lycée quant à la gestion de Laurent Wauquiez sont : une communication sans commune mesure avec la réalité, un certain clientélisme dans les choix de réhabilitation avec a contrario des territoires et des publics délaissés par la Région et un financement insuffisant au regard des besoins, alors que la Région peut tout à fait recourir à l’emprunt pour ces investissements d’avenir.

Sécurité : une obsession assumée, encore de la communication… pour quels résultats ?

Laurent Wauquiez a placé la sécurité des lycées au cœur de ses priorités. Ainsi depuis 2016, les lycées d’Auvergne-Rhône-Alpes ont bénéficié de divers dispositifs de sécurité tels que des portiques d’accès, des caméras de vidéoprotection, des alarmes anti-intrusion, des dispositifs anti-bélier, ou encore des équipes mobiles d’accueil renforcé. Pour la période 2021-2028, la Région a prévu un budget de 300 millions d’euros pour la sécurité des lycées, des transports, des communes et le soutien des forces de l’ordre, cela représente le double du budget établi pendant le précédent mandat.

Pourtant, la question se pose quant à l’efficacité réelle de ces dispositifs de sécurisation. En premier lieu, les portiques ne sont pas toujours adaptés et peuvent être sous-dimensionnés face au nombre important d’élèves au sein des lycées. Face au risque accru d’attroupement et de retard en cours, de nombreux lycées optent pour l’ouverture des portails à l’heure où tous les élèves arrivent. De plus, dans certaines situations, les différents systèmes de sécurité révèlent une efficacité limitée. Par exemple, en novembre 2021, un mineur de 14 ans, scolarisé dans un collège roannais, s’est introduit dans le lycée Carnot aux alentours de 14h. Il se serait fait prêter un badge pour pouvoir passer le portique de sécurité en prétextant avoir oublié le sien. Il a fait irruption dans une classe de seconde et vidé un extincteur sur les élèves de la classe et s’est enfui après avoir agressé deux professeurs. Ces échanges de badges, comme l’ouverture des portails lors de l’arrivée des élèves, ont également été évoqués lors de la session du CESER des jeunes, tenue le 7 novembre 2022.

Les systèmes de sécurité mis en place sont loin d’être infaillibles. Il est primordial de miser avant tout sur la prévention et déployer les ressources humaines adéquates. 

Ce n’est pas la politique menée par l’exécutif régional aujourd’hui : les personnels régionaux dans les lycées sont gérés à flux tendu (avec par exemple, une anticipation insuffisante des départs en retraite pourtant connus à l’avance) et l’externalisation des services de restauration et d’entretien est systématiquement mise en place dans les nouveaux lycées. Cette gestion des ressources humaines à la petite semaine entraîne des discontinuités des communautés éducatives qui ne peuvent être favorables à la sécurisation des établissements.

Bourses au mérite, la rhétorique de l’excellence individuelle plutôt que le soutien aux actions collectives portées par les équipes éducatives

La bourse au mérite version Auvergne-Rhône-Alpes, c’est une bourse de 500 € pour tous les bacheliers obtenant la mention Très bien sans considération des critères sociaux. La bourse au mérite +, également d’un montant de 500 €, valorise la persévérance scolaire, le dépassement de soi face aux difficultés de santé, la solidarité et l’engagement envers les autres. La candidature est proposée par l’équipe enseignante et le versement de la bourse est conditionné à l’obtention du diplôme. Enfin, la bourse de la réussite des lycéens combine les critères d’excellence des résultats et de mérite personnel, sans exigence de note minimale. L’instruction des demandes est assurée par les services régionaux et les lauréats sont sélectionnés en fonction de l’évaluation de ces deux critères. La bourse est de 1000 € et vise à reconnaître non seulement les résultats académiques, mais aussi les mérites personnels des candidats.

Ces différents dispositifs interrogent pour plusieurs raisons : absence de critères sociaux pour la bourse au mérite liée à la mention Très bien, questionnement sur l’équité et l’impartialité du processus de sélection des bourses au mérite + et de la réussite (risques de préjugés inconscients, différences de perception individuelle ou même relations personnelles entre enseignants et élèves), appréciation différente des critères selon les établissements. Cette approche favorise également une compétition exacerbée entre les jeunes, négligeant ainsi les efforts collectifs et les initiatives solidaires pourtant essentiels à la formation citoyenne.

Au-delà, ces financements à la réussite individuelle se font au détriment des financements dédiés au soutien des projets pédagogiques élaborés par les équipes enseignantes. Et pour mieux gérer la pénurie, cerise sur le gâteau, l’exécutif régional a réduit comme peau de chagrin les thématiques éligibles aux subventions régionales. Exit le soutien aux séjours linguistiques internationaux, aux activités culturelles, aux projets de santé sexuelle ou d’écocitoyenneté. Dès lors, seules 5 thématiques seront soutenues : la fierté régionale, la volonté d’entreprendre, les valeurs républicaines, la promotion de la culture scientifique et technologique, et le sport de haut niveau (seule spécialité à laquelle ont accès les établissements spécialisés et les CFA). Une cinquième thématique a élargi ce dispositif étriqué pour financer les projets autour de la “culture scientifique et technologique”. Une ligne politique réactionnaire et patriotique, s’il en est…

Le privé, le privé et encore le privé…

Alors que la dotation générale de fonctionnement allouée aux lycées publics diminue de 15% entre 2015 à 2022, la proportion du budget régional allouée aux lycées privés connaît dans le même temps une belle croissance. Ainsi entre 2015 et 2023, la part du budget d’investissement allouée aux lycées privés par rapport aux lycées publics est passée de 3,51% à 13,33%. Parmi les 80 millions d’euros alloués au plan de rénovation annoncé en 2022, 20 millions ont été réservés aux lycées privés. Le rapport sur l’état des lycées de la Région réalisé avec l’ensemble des groupes politiques écologistes et de gauche le démontre : Les grands gagnants de la politique régionale en investissement sont en réalité les lycées privés. Rappelons juste ici que l’enseignement privé n’a aucune obligation de mixité sociale et que la publication des IPS par le ministère de l’Education nationale montre à quel point cette mixité n’est pas au rendez-vous. 

Le soutien au secteur privé par les fonds publics régionaux dédiés aux lycées ne s’arrête pas là, il est également plus insidieux avec le choix de confier à des prestataires privés les services de restauration et d’entretien des nouveaux lycées, mais également une expérimentation lancée fin 2023 d’externalisation des services d’entretien de 20 autres lycées. Pourtant, les agents régionaux d’entretien interviennent principalement pendant les heures de présence des élèves et remplissent diverses missions telles que garantir la propreté et l’hygiène des salles de classe, des sanitaires, des couloirs et des internats, ainsi que veiller au bon fonctionnement des installations. Ces tâches ne se limitent pas à des activités techniques ou de main-d’œuvre, car les agents jouent également un rôle éducatif essentiel en assurant un accueil chaleureux, en établissant un lien avec les élèves et en veillant à la sécurité au sein des établissements.

L’exécutif prétend recourir au privé car il est difficile de recruter… mais plutôt que d’aller vers la privatisation de ces services, peut-être faut-il s’interroger sur des conditions de travail difficiles. En témoigne le rapport social unique qui révèle un taux de fréquence d’accidents du travail huit fois plus élevé que dans d’autres services et qui illustre le désengagement organisé sur la gestion des carrières des personnels des lycées.

La sécurisation des lycées a échappé au recours à des équipes de sécurité privée, mais l’exécutif l’a envisagé… puis a opté pour une équipe mobile composée d’agents régionaux. La veille sur ce sujet est donc de rigueur !

L’uniforme, un voile sur les inégalités ?

À partir de la rentrée 2024, un million d’euros d’argent public régional sera dédié à une expérimentation de l’uniforme dans cinq lycées, avec un coût de 268,80 € TTC par trousseau. Chaque élève recevra trois polos et deux pulls, présentés comme “100% made in Auvergne-Rhône-Alpes”. Des coûts supplémentaires de routage et de communication s’ajouteront, conformément aux habitudes de communication de Laurent Wauquiez. Si cette mesure devait être étendue aux 325 000 lycéens et lycéennes des 562 établissements de la Région, son coût annuel varierait entre 87,4 et 112,4 millions d’euros. Même avec une contribution du ministère de l’Éducation nationale de 100 € par trousseau, le budget s’élèverait à un minimum de 55 millions d’euros par an !

En comparaison, en 2024, l’exécutif régional prévoit d’allouer 180 000 € pour lutter contre le harcèlement scolaire et 1,3 million pour les projets éducatifs. Cela souligne les priorités de l’exécutif, qui semble préférer dépenser des millions dans des uniformes controversés plutôt que de financer des projets éducatifs et de lutter contre les inégalités sociales et scolaires, ou encore de rénover les lycées en mauvais état.

Pourtant, les jeunes se sont déjà exprimés contre le port de l’uniforme, comme lors de l’inauguration du lycée Beltrame de Meyzieu en septembre 2023. Aucune mention de ce besoin n’a été formulée par les nombreux contributeurs de la Mission Lycées. L’uniforme peut restreindre la liberté d’expression des élèves en imposant un code vestimentaire unique, limitant ainsi leur capacité à exprimer leur individualité, leurs valeurs et leur créativité. Par ailleurs, l’uniforme n’a pas d’impact significatif avéré sur l’amélioration du climat scolaire ou la performance académique des élèves. Ainsi, selon une étude américaine de l’Université de l’Ohio publiée en 2021,1 l’uniforme n’aurait pas ou peu d’impact global sur le comportement, l’assiduité, l’anxiété, le repli sur soi, la violence ou encore le sentiment d’appartenance des élèves. Enfin, et surtout, l’introduction de l’uniforme ne résout pas les problèmes sous-jacents tels que le harcèlement scolaire ou les inégalités sociales.

Pour Catherine Bony, conseillère régionale du groupe Les Écologistes, membre de la commission Éducation Lycées : « L’uniforme ne fait que recouvrir la réalité des injustices économiques et sociales sans donner de perspective émancipatrice. L’uniforme, c’est la cloche posée sur l’école, c’est le vecteur du conformisme social à l’âge où s’affirment les personnalités ». Maxime Meyer, coprésident du groupe Les Écologistes, ajoute : « Prétendre cacher les inégalités sous un uniforme est la seule réponse du président de Région et du gouvernement en matière de lutte contre les inégalités sociales et scolaires. C’est une hypocrisie à plusieurs millions d’euros, qui sera sans doute financée au détriment d’actions réellement efficaces et attendues par les élèves et la communauté éducative »

Lutter contre les inégalités, prendre soin des lycéens et lycéennes, ce n’est pas la priorité de l’exécutif régional. Ainsi, dans les cantines, la Région ne met pas les moyens pour aller vers plus d’agriculture biologique, assurer la place des menus végétariens et proposer une tarification sociale. La question de la santé est également négligée. Aucune proposition n’est faite pour une approche plus globale de la santé des jeunes, favorisant la mise en place de programmes de prévention couvrant des aspects tels que la santé sexuelle et reproductive, l’alimentation, les comportements à risque, les dépendances, le bien-être ainsi que la santé environnementale. La lutte contre le VIH-SIDA devrait rester une priorité régionale ainsi que les problèmes de santé mentale des jeunes.

Dans sa vision répressive plutôt qu’éducative, l’exécutif a également avancé l’idée de supprimer les aides régionales aux lycéens en cas de signalement par un « tiers de confiance » d’un comportement jugé « incivique ». Ce terme vague pourrait englober une gamme très large de comportements et avoir des conséquences très inégales. Par exemple, un lycéen issu d’un milieu défavorisé bénéficiant d’une aide sociale n’aura pas le droit à l’erreur, sous peine de se voir privé de repas à la cantine, sans possibilité de recours ou de défense. Un lycéen issu d’une famille aisée pourra a contrario se comporter de manière inappropriée sans conséquence pour son accès à la cantine.

Et la cancel culture, version wauquiste

De nouvelles nominations de lycées, l’occasion d’honorer la mémoire de femmes ayant marqué l’histoire ? Un nouveau lycée Brossolette à Villeurbanne, ajoutera-t-on le nom de Gilberte Brossolette, également résistante, à celui de son conjoint Pierre ? Non. Un nouveau lycée créé à Lyon dans le biodistrict de Gerland, l’occasion de mettre une femme scientifique à l’honneur ? Non, on lui donnera le nom de Charles Mérieux, comme la place sur laquelle il se trouve… sans concertation… au grand regret des représentants des parents d’élèves lors du premier conseil d’administration de ce nouvel établissement. Et pour terminer, lorsque l’on fusionne deux établissements de Clermont-Ferrand, le nouvel établissement, là encore sans concertation, s’appellera Lycée Gergovie… et on fait tout simplement disparaître les noms de deux femmes, l’une artiste, Camille Claudel et l’autre scientifique, Marie Curie.


1Voir https://news.osu.edu/school-uniforms-dont-improve-child-behavior-study-finds/

1 réflexion sur “Lycées : un laboratoire des obsessions wauquistes”

  1. Jannot-Sperry

    Bonjour,
    Travaillant au lycée Juliette Récamier, je me permets de vous faire part d’une situation, notable me semble-t-il. Depuis janvier, des travaux importants de restructuration ont commencé dont nous étions informés depuis plus d’un an. De fait, l’entrée est passée du 57 rue de la charité à l’angle entre le cour de Verdun Récamier et le quai du Dr Gailleton depuis le 4 mars 2024.
    Auparavant, nous étions au portail à chaque sonnerie afin de contrôler l’entrée, et quand nous n’y étions pas, le personnel de loge faisait le contrôle. C’était une porte simple, que nous pouvions ouvrir de l’intérieur.
    Depuis le changement d’entrée, une grille métallique avec quatre portiques de sécurité et un portique pour les personnes à mobilité réduite a été installée. Je ne connais pas le prix d’une telle installation, mais la structure est imposante et a nécessité une installation électrique. Ce portail est sensé être autonome et sécurisé, c’est à dire ne s’ouvrir qu’avec les Pass Région affectés au lycée Juliette Récamier. Or, et c’est l’objet de mon commentaire, il n’est pas du tout sécurisé. En effet, déjà le deuxième jour après son installation, nous nous rendions compte qu’il était possible de l’ouvrir avec toutes les cartes étudiantes que nous trouvions (Université Lyon 2, Université de Grenoble) ainsi qu’avec les cartes d’identité récentes (avec puce). Nous l’avons donc signalé aux services en charge, qui l’ont ensuite signalé à la région, me semble-t-il.
    Mais depuis maintenant trois semaines donc, le portail s’ouvre avec tout et n’importe quoi. En plus de toutes les cartes étudiantes, tous les Pass Région, toutes les cartes d’identité, nous nous sommes entre temps rendus compte que les cartes bancaires, et même les badges d’immeuble, ouvraient aussi les portiques “sécurisés”.
    Devant une telle absurdité, qui a dû coûter une belle somme, je me permets de vous faire part de cette situation.
    Je reste à votre disposition par courriel.
    Cordialement.

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