Laurent Wauquiez et l’Europe : « je t’aime moi non plus ! »

Du fédéralisme assumé au scepticisme opportuniste et à l’Europe discrète

« Ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent ». Il semble bien que Laurent Wauquiez ait souvent fait sienne cette célèbre citation attribuée à Edgar Faure sur un certain nombre de sujets. Mais c’est sans doute sur l’Europe et ses institutions que son changement de pied idéologique est le plus remarquable.

D’européen convaincu…

Il faut tout d’abord bien avoir en tête que Laurent Wauquiez est entré en politique dans les bagages de Jacques Barrot, une des principales figures de la démocratie chrétienne en France, fédéraliste européen convaincu, décédé en 2014. C’est quand ce dernier est nommé vice-président de la Commission européenne en 2004, sous la présidence de José Barroso, qu’il cède à son jeune suppléant, un certain Wauquiez Laurent, son siège de député français dans la 1ère circonscription de Haute-Loire. L’actuel président d’Auvergne-Rhône-Alpes devient alors à 29 ans, grâce à l’entregent de Jacques Barrot l’européen, le benjamin de l’Assemblée nationale, ce qui lui permettra d‘obtenir rapidement une envergure politique nationale.

Un an plus tard, en 2005, il soutient le fameux Traité établissant une constitution pour l’Europe, TCE finalement rejeté par 54,68% des électrices et électeurs français. Dix ans plus tard, le même Laurent Wauquiez déclare avoir changé d’avis[1].

Entre-temps, lorsque Nicolas Sarkozy remporte l’élection présidentielle de 2007 et la droite les législatives qui suivent, Laurent Wauquiez est nommé secrétaire d’État et porte-parole du gouvernement Fillon. Trois ans plus tard, en novembre 2010, il devient ministre chargé des Affaires européennes auprès de la ministre des Affaires étrangères Michèle Alliot-Marie : un poste qu’il n’occupe que quelques mois avant de devenir ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en juin 2011, mais qui lui permettra tout de même de parfaire ses connaissances de l’Europe et de ses institutions.

Ce sujet, il le maîtrisait déjà très bien au vu de son parcours scolaire, Normale Sup, Sciences Po Paris, agrégation d’histoire et major de la promotion Mandela de l’ENA en 2001. La plus prestigieuse école française d’administration, remplacée par l’Institut national du service public en décembre 2021, a en effet parfaitement formé pendant plusieurs décennies ses élèves aux questions européennes.

Laurent Wauquiez pèse donc ses mots en parfaite connaissance de cause lorsqu’il écrit en 2014 un essai de 304 pages nommé Europe : il faut tout changer.

A eurosceptique peu convaincant… dans son propre camp

Dans cet essai, Laurent Wauquiez se déclare alors favorable à un retour à « l’Europe des Six », dans une Union européenne qui compte en 2014 alors 28 Etats-membres (entrée de la Croatie en 2013, et avant la procédure de Brexit enclenchée en 2016). Y déclarant que l’élargissement sans fin de l’UE doit cesser, le désormais eurosceptique Monsieur Wauquiez explique dans son livre que « les fédéralistes naïfs sont aujourd’hui les pires ennemis de l’avenir européen », décrivant également l’espace Schengen comme « l’archétype d’une politique communautaire qui ne fonctionne pas », car soi-disant incapable de réguler l’immigration légale comme illégale.

Cet essai est la première manifestation d’un revirement total de Laurent Wauquiez sur la question européenne, selon un mode populiste n’étant pas sans rappeler les propos de la famille Le Pen et de ses affidés sur l’Union européenne. En effet, ces derniers, ayant pourtant largement profité de revenus européens (Le Pen père a effectué sept mandats consécutifs au Parlement européen de 1984 à 2019 et sa fille trois de 2004 à 2017), n’ont jamais cessé de cracher sur la construction européenne, responsable selon eux de la majeure partie des maux de la France, avec une démagogie totalement assumée. En effet d’après eux, Bruxelles serait une entité extérieure à la France qui lui imposerait ses bons vouloirs selon un agenda politique et des pouvoirs extérieurs totalement fantasmés. Or la France fait partie intégrante de la construction européenne depuis son origine, en étant un des piliers. Par conséquent, aucune des décisions n’est prise à Bruxelles sans sa participation et rien ne peut lui être imposé qu’elle n’ait au préalable accepté via ses représentant.e.s.

La « faute à Bruxelles » était ainsi jusqu’alors un sport réservé à l’extrême droite (et dans une moindre mesure à l’extrême gauche voyant dans l’UE l’incarnation du Grand capital contre les travailleuses et travailleurs). Avec son livre, Laurent Wauquiez s’inscrit ainsi dans son sillage, lui dont la famille politique (la droite européenne, le PPE) préside quasi sans discontinuer les institutions européennes depuis le départ. C’est un peu fort de café pour les membres éminents de son propre parti politique, l’UMP, qui dénoncent alors ses propos, comme Alain Juppé ou Jean-Pierre Raffarin. Mais les critiques sans doute les plus virulentes dans son camp proviennent de son propre « père spirituel » et parrain politique, Jacques Barrot. Ce dernier déclare à propos de l’essai Europe : il faut tout changer : « L’Union européenne mérite mieux que ce livre inspiré par je ne sais quel populisme en cours aujourd’hui. On y trouve tous les ingrédients qui nous renvoient au siècle dernier avec un protectionnisme qui a montré ses limites en attisant la peur de l’autre. »[2]

« Bon sang ne saurait mentir » ? En tous cas, c’est la question européenne qui a visiblement définitivement fait rompre les ponts entre Laurent Wauquiez et son ancien mentor.

L’Europe très discrète en Auvergne-Rhône-Alpes

Depuis lors, celui qui est pourtant du même parti politique que l’actuelle présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, a plutôt l’Europe discrète, surtout depuis l’accession à la présidence de la République en 2017 d’un président plus jeune que lui et s’étant toujours affirmé comme très pro-européen, Emmanuel Macron.

Surtout en 2019, alors que Laurent Wauquiez est encore à la tête de son parti Les Républicains, celui-ci réalise le plus mauvais score de son histoire aux élections européennes avec 8,48%. Ce piteux score entraîne sa démission dans la foulée, l’Europe semblant donc porter quelque peu « la poisse » à l’enfant prodige devenu prodigue de la droite.

Désormais coincé entre l’euroscepticisme électoralement payant de Marine Le Pen et l’euro-optimisme revendiqué d’Emmanuel Macron, Laurent Wauquiez n’a guère de champ pour porter une vision européenne claire susceptible de lui rapporter des points.

Alors, il a l’Europe plutôt discrète, lui qui préside pourtant depuis 2016 l’immense région Auvergne-Rhône-Alpes : aussi vaste que l’Irlande et avec un PIB équivalent à celui du Danemark, elle est une des plus vastes et des plus riches d’Europe, plutôt avantagée économiquement par rapport à la majeure partie des autres régions européennes. La région Auvergne-Rhône-Alpes bénéficie, au nom de la politique de cohésion européenne pour 2021-2027, d’une enveloppe de 880 millions d’euros au titre du Fonds européen de développement régional, du Fonds social européen et du Fonds pour une transition juste. S’y ajoutent la part de l’enveloppe du FEADER de 10 milliards d’euros pour l’ensemble de la France de 2023 à 2027, ainsi que plusieurs programmes de coopération transfrontalière : Interreg Alcotra, réunissant les départements frontaliers italiens et français, ou encore Interreg Espace Alpin, rassemblant les territoires alpins de sept pays pour y soutenir le développement durable et l’Interreg France Suisse qui réunit 5 départements français et 6 cantons suisses. Sans compter tous les programmes européens de coopération transnationale sectoriels comme Erasmus +, Europe Créative, Cosme, SUERA, Horizon Europe, etc.

Bref, l’Europe est très présente en Auvergne-Rhône-Alpes. Mais a contrario des désormais célèbres panneaux bleus de Laurent Wauquiez, les affiches vantant les financements européens semblent bien discrètes, là où on les croise partout sur les routes d’Espagne et d’Italie par exemple. La majorité régionale actuelle semble avoir l’Europe discrète, voire honteuse. Au Comité européen des régions, organe consultatif de l’UE créé en 1992 et composé de représentant.es élu.es au niveau local et régional en provenance des 27 États membres, siège une élue d’Auvergne-Rhône-Alpes, Cécile Gallien, maire de Vorey-sur-Arzon (Haute-Loire) et vice-présidente de l’association des maires de France, mais qui est du parti Renew Europe d’Emmanuel Macron, de même que son suppléant Jean-François Barnier, vice-président du conseil départemental de la Loire, également membre de Renew Europe.

Qui est au courant parmi les habitant.es d’Auvergne-Rhône-Alpes de cette omniprésence européenne sur le territoire auralpin ? Nous-mêmes en tant qu’élu.e.s régionaux n’avons jamais réellement débattu en assemblée plénière des questions européennes concernant directement la Région.

Ce qui n’empêche pas certains des vice-présidents de Laurent Wauquiez de dire tout le « bien » qu’ils pensent des institutions européennes et de leurs représentante.s, comme Philippe Meunier lors d’une réunion de la commission des relations internationales de la Région en 2022, s’étant déclaré « ne pas se sentir être représenté » par Ursula von der Leyen, présidente actuelle de la Commission et membre de la même famille européenne que lui. Comme le dit l’adage populaire, « avec de pareils amis, pas besoin d’ennemis ! ».

Il semble loin le temps où la droite républicaine de la région inscrivait ses pas dans ceux de Jacques Barrot et d’une « certaine idée de l’Europe ».

Dans l’optique de la présidentielle de 2027, Laurent Wauquiez, qui craint à raison les mauvais résultats prévisibles de son camp aux européennes de juin 2024, semble donc vouloir avoir surtout l’Europe discrète ces derniers temps. Comme le dit l’adage : « Chat échaudé craint l’eau froide ».


[1] Lire https://www.nouvelobs.com/politique/20151217.OBS1572/laurent-wauquiez-l-irresistible-ascension-d-un-opportuniste.html

[2] Tribune de Jacques Barrot publiée dans Les Echos le 7 mai 2014 : https://www.lesechos.fr/2014/05/leurope-merite-mieux-que-le-populisme-et-la-peur-de-lautre-1102132

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