Démocratie : Détruire le débat en 4 étapes

La démocratie est nécessaire pour allier paix et justice dans une société pluraliste. Elle doit permettre à l’ensemble des citoyens d’exprimer l’ensemble des points de vue qui existent dans la société, afin de permettre de prendre une décision éclairée qui suive au maximum l’intérêt général, à laquelle tout le monde doit pouvoir consentir. Sans ce débat démocratique, les décisions sont prises par la force et s’imposent aux citoyens ou à certains groupes, souvent contre leur intérêt. 

Cependant, le débat démocratique est exigeant. De nombreuses conditions doivent être remplies pour qu’il existe et fonctionne : il faut que les élections représentent la volonté de la population, que ces représentants disposent d’un véritable pouvoir en le divisant au sein des institutions, qu’ils soient informés correctement pour prendre des décisions éclairées, qu’ils aient l’occasion de s’exprimer, et que la décision finale soit le produit d’un compromis aussi large que possible.

On ne peut pas dire que les décisions prises par la Région Auvergne-Rhône-Alpes sous la présidence de Laurent Wauquiez soient le fruit d’un processus démocratique parfaitement fonctionnel, loin de là. Au-delà des contraintes purement institutionnelles – le scrutin à prime majoritaire et la suprématie de l’exécutif -, c’est aussi la pratique du pouvoir qu’a le président du conseil régional qui exacerbe ces lacunes démocratiques. On ne compte plus les atteintes aux droits d’information et d’amendement des élus au sein de l’hémicycle, tandis que Laurent Wauquiez use de son temps de parole illimité pour faire son autopromotion et ne concéder que des miettes à l’opposition. Par ailleurs, la majorité absolue de l’exécutif lui permet de se passer d’argumentation solide, puisque la recherche de consensus n’est pas utile, et les débats sont ainsi souvent biaisés.

Voici donc, à partir du cas d’école de la région Auvergne-Rhône-Alpes sous Laurent Wauquiez, comment détruire le débat démocratique au sein d’une institution, en quatre étapes.

Profiter d’un mode de scrutin favorisant l’installation d’un exécutif tout-puissant

Les premières difficultés arrivent dès le moment de l’élection, avec en particulier le problème du scrutin de liste à prime majoritaire. Les élections régionales visent à départager, en deux tours, plusieurs listes de candidats, établies par département. Celles qui obtiennent 10% des voix passent au second tour, et celles qui obtiennent plus de 5% des voix peuvent fusionner avec une autre liste retenue au second tour. Ensuite, la liste qui arrive première obtient automatiquement un quart des sièges au conseil régional et le reste des sièges est réparti proportionnellement entre les listes en fonction de leur résultat.

Le scrutin de liste à prime majoritaire vise au départ à garantir une certaine efficacité dans la prise de décision au sein des collectivités locales.  Ainsi, dès qu’une liste dépasse 33% des voix cela lui permet d’obtenir la majorité absolue et d’exclure toutes les listes concurrentes de la décision au conseil régional. Un tiers des électeurs peut donc écarter les deux autres tiers de la décision.

Il y a ensuite une véritable problématique de séparation des pouvoirs entre le conseil régional et l’exécutif. Bien que le second soit élu par le premier, il dispose ensuite de la quasi-totalité de l’initiative des projets grâce à la maîtrise de l’ordre du jour, et en maîtrise l’essentiel de l’élaboration et de l’exécution, avec une simple approbation de forme par le conseil régional. Le contrôle du déploiement des politiques publiques est difficile. Par exemple, le conseil régional n’est appelé à voter que sur l’affectation budgétaire des crédits de financement, mais c’est ensuite à l’exécutif de réaliser les paiements et de signer des contrats de la manière qu’il souhaite, ce qui peut s’avérer être un moyen de pression efficace.1

Encadré : une abstention record en 2021

Lors des élections régionales en 2021 près de 66% des électeurs ne se sont pas déplacés aux urnes du fait notamment des conséquences de l’épidémie de Covid-19. Ainsi, il était possible de dégager une majorité absolue avec les voix de seulement 11% des inscrits… Dans un tel contexte, même la victoire assez large de Laurent Wauquiez, avec 44% puis 55% des suffrages exprimés, mais en fait seulement 14% et 18% des inscrits, appelle à l’humilité.

Bafouer le droit d’information

Faute d’avoir un réel poids institutionnel, les oppositions sont réduites à une mission de contrôle des actions de la majorité, de proposition d’alternatives et de médiatisation de cette opposition, de sorte à espérer gagner le débat aux prochaines élections. Parfois l’action de l’opposition peut aussi passer par le droit, à travers des recours contre des projets jugés illégaux, par exemple. Bien que secondaire, il s’agit d’un levier utile alors que Laurent Wauquiez flirte de plus en plus souvent avec les limites de la légalité.

Pour assurer ces missions, toutefois, une information transparente des élus est indispensable. Sans savoir précisément avec quels objectifs ont été élaborés les projets de l’exécutif, ni avec quelles contraintes les arbitrages ont été réalisés, ou encore sans détail sur leur mise en œuvre, il est impossible, pour les élus d’opposition, de voter en connaissance de cause et avec tous les arguments. Cette information est aussi importante pour les citoyens qui pourraient s’intéresser à ce que fait la Région pour éclaircir ensuite leurs votes.

Pourtant, la transparence n’est pas le maître mot de l’exécutif. Les rapports sont les seules fenêtres d’observation de l’action de l’exécutif pour l’opposition. Heureusement, pour offrir l’opportunité d’obtenir plus de précisions sur les projets, chaque session du conseil régional est précédée de commissions thématiques, dans lesquelles il est possible de questionner les vice-présidents ou les directeurs de service sur les points d’ombre. Toutefois, les questions restent souvent sans réponse. Cela varie bien sûr selon les projets, les périodes et surtout, selon les vice-présidents, certains se montrant plus coopératifs que d’autres.
Comme outil démocratique que peuvent mobiliser les oppositions, le code général des collectivités territoriales prévoit la possibilité de demander une mission d’information et d’évaluation (MIE). C’est ce qu’ont fait les 50 conseillères et conseillers régionaux de gauche et écologistes sur le bâti des lycées publics. Une demande refusée au tout dernier moment par Laurent Wauquiez. Les groupes de gauche et écologistes ont ensuite décidé de créer par eux même la consultation citoyenne Mission Lycées dont nous reparlerons dans un autre article.

L’opacité est une stratégie récurrente de Laurent Wauquiez, comme lorsqu’il confie certaines missions à des organismes tels qu’Auvergne-Rhône-Alpes Entreprises ou Auvergne-Rhône-Alpes Investissement, deux organismes chargés respectivement de gérer la relation et l’assistance financière de la Région aux entreprises et les placements financiers de la Région. Les conseillers régionaux n’ont accès qu’aux comptes finaux résumés lors de leur assemblée générale, mais jamais au détail de leurs dépenses. Ainsi, en avril 2023, la coprésidente du groupe écologiste, Fabienne Grébert, s’interrogeait sur un appartement loué rue Solférino, à Paris, pour 320 000 euros par an, par Auvergne-Rhône-Alpes Entreprises, pour permettre à des chefs d’entreprise de la Région de tenir des rendez-vous, mais que Laurent Wauquiez pourrait aussi utiliser à des fins personnelles. Une autre question portait sur la potentielle prise en charge par cet organisme d’un déplacement effectué par Laurent Wauquiez, sans mandat spécial de la Région, dans un salon des entreprises de la technologie à Las Vegas, suivi d’une rencontre avec le gouverneur du Texas, Greg Abott, trumpiste, anti-avortement et pro-armes notoire. Laurent Wauquiez lui a refusé la parole lors de l’assemblée générale de l’agence. 

Contrôler le débat et monopoliser la parole

Autre astuce pour détruire le débat démocratique : limiter la discussion ! Pour cela, Laurent Wauquiez dispose de très nombreux outils, qu’il n’hésite pas à utiliser.

En tant que président du conseil régional, c’est lui qui assure la répartition de la parole, de façon normalement proportionnelle à la taille des groupes politiques. Si le président du conseil régional est très pointilleux sur le respect du temps de parole des autres élus, l’exécutif dispose quant à lui d’un temps illimité pour présenter ses rapports, puis le président dispose à nouveau d’un temps illimité pour répondre aux interventions des groupes. Il n’hésite pas à user de cet avantage pour faire de l’hémicycle une tribune où il peut développer ses idées politiques sans que personne ne puisse le contredire, ce qui lui permet d’alimenter ensuite son compte Twitter – ou X.

La stratégie peut aussi être inverse : pour ne pas s’embarrasser de la critique de l’opposition, Laurent Wauquiez se contente souvent de l’ignorer et d’avancer. En outre, il convoque régulièrement des assemblées plénières trop courtes pour le nombre de rapports qui doivent être débattus et s’abstient de toute réponse aux propos des groupes. Les débats doivent alors se poursuivre jusque très tard le soir ou être très expéditifs, ce qui, dans un cas comme dans l’autre, en altère la qualité, et le président demande aux groupes de réduire leur temps de parole, réduisant encore davantage la qualité de la discussion. 

D’autres fois, Laurent Wauquiez, trop occupé pour assurer son rôle, ne se donne pas la peine d’être présent, et délègue la présidence de l’assemblée à un de ces vice-présidents, ce qui limite les possibilités d’interpellation par l’opposition. Ainsi, en 2018, Laurent Wauquiez s’est éclipsé au moment où une conseillère régionale souhaitait l’interroger sur la situation au Kurdistan, où il s’était rendu quelques mois plus tôt. C’est donc son vice-président qui a dû répondre, sans avoir toutes les clés en main.

Encadré : La commission permanente

En réalité, seule une petite partie des rapports est débattue en assemblée plénière, laissant à tous les groupes l’occasion de s’exprimer et de les amender. La grande majorité des rapports est adoptée en commission permanente, qui ne regroupe qu’une partie des élus régionaux et vote de façon beaucoup plus spartiate, avec éventuellement quelques secondes pour expliquer son vote, mais pas de véritable intervention des groupes. 

Pourtant, c’est bien lors des commissions permanentes qu’est mise en œuvre la politique de l’exécutif :  alors même qu’elles ne sont pas publiques et ne sont pas des espaces de débat, les délibérations votées en commission permanente sont les actes d’exécution des grandes délibérations présentées en plénière.

Ainsi, certaines délibérations qui auraient mérité d’être débattues en assemblée plénière sont reléguées en commission permanente. Ce fut le cas par exemple pour l’extension du pass région au permis de chasse ou l’extension de la politique de sécurité sur les caméras.

Ne rien concéder

Le dernier moyen dont dispose l’opposition est aussi le plus concret : les amendements. Chaque conseiller régional peut en déposer afin de modifier les rapports qui sont débattus en assemblée plénière, ce qui implique que l’amendement soit voté et adopté. 

Cependant, Laurent Wauquiez disposant de la majorité absolue, il revient en pratique à lui seul de décider si ces amendements seront intégrés ou non au texte final. C’est donc bien lui qui conserve la maîtrise de tout ce qui est adopté par l’assemblée plénière, les élus de son camp se pliant toujours à ce qu’il décide. Attention : nous ne nous plaignons pas du fait que ce soit la majorité qui décide – c’est le principe de la démocratie -, mais nous alertons sur le manque de considération de l’exécutif pour toute contradiction et toute remise en question, qui n’est pas non plus un idéal pour la démocratie.

Les élus d’opposition sont ainsi limités à des améliorations marginales et consensuelles apportées aux projets, parfois acceptées par l’exécutif sans menacer l’essentiel du texte pour faire tenir l’illusion selon laquelle la majorité tient compte des remarques de l’opposition, ou parce que cela permet à l’exécutif de corriger une erreur technique. Les amendements peuvent aussi permettre à l’exécutif de faire passer certaines idées de l’extrême-droite sans en être à l’origine : des amendements du groupe Liberté, Identité et Souveraineté (LIS), émanant du parti d’Eric Zemmour, ont ainsi été adoptés en 2023.2

Au-delà de cet usage discutable mais légal des prérogatives du président de Région, ce dernier a aussi bafoué le droit d’amendement de l’opposition en dehors de tout cadre légal. Le budget 2017 de la Région a ainsi été annulé début 2019 pour non-respect du droit d’amendement, après que l’exécutif a déclaré arbitrairement irrecevables certains amendements. Une première pour une collectivité territoriale…

—————————–

1Voir le chapitre “Clientélisme : subvention contre bulletin de vote”

2Un amendement sur “L’information annuelle de l’AP” (assemblée plénière juin 2023) et un amendement budgétaire “Plan de lutte contre la pornographie dans les lycées” (assemblée plénière décembre 2023).

1 réflexion sur “Démocratie : Détruire le débat en 4 étapes”

  1. Co-fondateur de l’association “Mieux voter” avec aussi le site mieux choisir, je souhaite que, après présentation et étude de mise en place, proposer la mise en place du système de “Péférendum” pour toute consultation en interne (pour commencer) en vue aussi de l’emploi de ce système pour des élections. Je dispose d’une présentation avec schéma et mode de calcul pour toutes explications. Ce système offre une capacité d’e reccueil de nos choix individuels sans égal. Pour 10 candidats ou sujets, avec un choix par 5 mentions (exemple : de ‘très bien’ à ‘rejet’) nos possibilités comportent 100 000 possiblités au lieu d’une seule avec le système actuel. L’abétissement de la population doit être effacé de nos politiques.
    Soyons innovant pour une pratique vraiment démocratique

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut