Auvergne-Rhône-Alpes Entreprises, au service de sa majesté !

La scène remonte au 3 mai dernier. Au sein de l’hémicycle Georges Pompidou au siège de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, l’assemblée générale de Auvergne-Rhône-Alpes Entreprises fait salle comble. Tous les acteurs institutionnels du monde économique, les patrons d’industrie de la Région dont le parcours est couronné de succès, sont là, pour un grand moment de congratulations autour de cette agence satellite de la Région. Laurent Wauquiez et sa première vice-présidente à l’économie Stéphanie Pernod peuvent s’en féliciter et savourer le bilan de leur bras armé au profit du tissu industriel régional. Mais quelle est la rançon de ce succès et pour quel profit ? Les habitants du territoire pourraient y déceler les signes d’une Région pas si bien gérée que ça. 

Une agence au service de l’ambition du Président de Région et de ses alliés économiques

L’agence économique régionale Auvergne-Rhône-Alpes Entreprises1 est née de la volonté du conseil régional de rassembler les services économiques de son territoire pour soutenir les entreprises, en particulier les entreprises industrielles et de services à l’industrie.

Présente à travers 11 antennes locales, en lien avec les EPCI (établissements publics de coopération intercommunale) et les départements, cette agence oriente et accompagne les entreprises à toutes les étapes de leur développement : investissement, formation et emploi, innovation, export, accès aux financements et projets européens. 
Auvergne-Rhône-Alpes Entreprises (ARAE) a également pour mission de promouvoir la région à l’international et de valoriser ses multiples atouts pour attirer de nouvelles entreprises dans les territoires. 


Depuis 2017, ARAE s’est développée autour d’une équipe de 150 professionnels aux savoir-faire reconnus, qui ont accompagné près de 62 700 entreprises. En 2023, plus de 11 000 entreprises de l’industrie et des services à l’industrie ont été accompagnées par l’agence ; elles ont déclaré plus de 1,9 milliard d’euros d’investissements et ont bénéficié de plus 133 millions € d’aides publiques.

Cette agence satellite a bénéficié en 2023 de 16,7 M€ de subventions pour accompagner les entreprises de la région et décliner le plan stratégique en matière de relocalisation industrielle et de développement économique. Elle a distribué en 2023 133 M€ d’aides aux entreprises. Il faut dire que l’activité économique bénéficie d’investissements records. Alors qu’en 2015, les deux régions pas encore fusionnées consacraient 104,4 M€ à ce chapitre, le montant est aujourd’hui de 226,4 M€ dans le compte administratif de 2023. Au service du bien commun ? Rien n’est moins sûr…

Laurent Wauquiez n’aime pas être contrarié. Le monde économique lui aussi doit marcher au pas. Ils sont nombreux à en avoir fait les frais. Ce fut le cas de l’association Mont-Blanc Industries en 2019. L’association comptait pourtant plus de 150 entreprises de la Vallée de l’Arve mais, faute d’un soutien suffisamment affirmé aux LR lors des élections législatives de 2017, l’association a vu ses subventions supprimées et l’antenne haut-savoyarde de ARAE a remplacé tout simplement Mont-Blanc Industries, qui a fini par déposer le bilan2. Le Cluster Outdoor Sports Valley a lui aussi bien failli voir sa subvention de 640 000 € supprimée, pour avoir soutenu une tribune pour des Jeux olympiques d’hiver durables. On ne les y reprendra plus. 

Une structure opaque

Avec Auvergne-Rhône-Alpes Entreprises, la direction vise à travers la réussite de l’industrie, la promotion du Président de Région. L’agence avait organisé en mars dernier un voyage au Japon auquel Laurent Wauquiez avait largement participé. Le Monde avait alors titré sur « ce voyage très confidentiel de Laurent Wauquiez »3. La plus grande confidentialité règne sur cette escapade qui a été financée par l’agence, et non par la Région contrairement au “Dîner des sommets”. D’après nos contacts, ce portage plus discret aurait limité les “fuites”.

À l’occasion de l’assemblée générale d’Auvergne Rhône-Alpes Entreprises, Emmanuel Maillan, son directeur, a rappelé les bénéfices récoltés par les entreprises, après ce voyage payé par l’agence aux frais du contribuable. Laurent Wauquiez avait cru bon rééditer, à l’autre bout de la planète en toute opacité,  le « Diner des Sommets » (où il avait convié dans le Beaujolais une centaine de convives triés sur le volet, pour la modique somme de 1500 € par convive). Là encore, 150 chefs d’entreprises ont été conviés dans la salle de bal de l’Hôtel Mariott à Nagoya pour déguster la cuisine du chef étoilé Christophe Paucod. Officiellement organisé pour accompagner une trentaine d’entreprises régionales à la première édition du Smart Manufacturing Summit, du 13 au 15 mars, ce voyage comporte ses parts d’ombre. Laurent Wauquiez s’est envolé, avec l’argent du contribuable, dans les stations de ski huppées de Kiroro et Niseko. 

L’Agence Auvergne Rhône-Alpes a l’habitude de rendre bien des services au Président de Région. Elle loue 295 m² de bureau à Paris, à l’angle de la rue de Solférino et du quai Anatole France, pour la modique somme hors charges de 177 000 € HT par an ; c’est là que Laurent Wauquiez reçoit des journalistes pour parler de son destin national et des élections présidentielles de 2027 ; c’est là aussi qu’il héberge de présumés emplois fictifs, à l’instar de Arnaud B4, décrit comme l’éminence grise de Laurent Wauquiez. L’enquête du Parquet national financier est toujours en cours.

Les derniers déplacements de Laurent Wauquiez échappent à la transparence et à la vigilance des élus régionaux. En vertu de la loi 3DS, le président de la Région peut désormais se passer de l’autorisation de la commission permanente pour ses déplacements  et les élus ne sont informés des nombreux déplacements à l’international qu’a posteriori : visite au Consumer Electronic Show à Las Vegas, Japon, Maroc, la plupart des missions à vocation économique passent désormais par l’agence Auvergne-Rhône-Alpes Entreprises; les cinq élus de gauche représentant la Région à l’assemblée générale de l’association ne siègent pas au conseil de surveillance.

Une gouvernance partiale

Seul habilité à prendre les décisions stratégiques, Florent Menegaux, également président de Michelin, préside le conseil de surveillance. Franck Colcombet préside l’agence, mais il est également PDG de Tecalmit, une entreprise de la filière aérospatiale, à laquelle il est lié en tant que président d’Aérospace Cluster. Ni l’un ni l’autre ne sont avares des subventions de la Région : 690 000 € pour la filiale Add’up de Michelin et autres projets de R&D de la marque (Parc Cataroux notamment), plus de 140 000 € d’aides directes pour le second, sans compter les aides à l’Aérospace Cluster et à l’Académie aéronautique et spatiale d’Auvergne Rhône-Alpes5.

ARAE s’est mise au service des grands secteurs industriels : énergie, santé, mécatronique, industrie du futur, à la fois dans une logique de relocalisation, mais aussi de développement à l’international ; la quadrature du cercle pour un président de la Région qui prétend toujours et encore que la seule façon de limiter les gaz à effet de serre consiste à relocaliser la production industrielle ; comme si un téléphone, un pantalon, une machine à laver cessent d’émettre des gaz à effet de serre dès lors qu’ils seraient fabriqués en France. Les produits exportés par les industries de notre région émettront eux aussi des gaz à effet de serre, qu’ils soient utilisés en France ou à l’autre bout du monde. La question n’est pas seulement où nous produisons, mais ce que nous produisons et comment nous le produisons.

L’association, elle, poursuit son œuvre : attirer des entreprises et continuer dans une logique de croissance et de compétition internationale. Pour quels bénéfices pour nos habitants ?

Des résultats qui laissent sur la faim pour l’économie de proximité

La justification aux politiques économiques semble souvent motivée par la création d’emplois ; une justification aux crises successives qui sévissent depuis le premier choc pétrolier, et aux innovations technologiques qui ont contribué à mettre sur le marché de l’emploi des millions de Françaises et de Français et à précariser nos travailleurs et travailleuses. Qu’en est-il aujourd’hui ? La Région Auvergne-Rhône-Alpes compte 50 660 demandeurs d’emplois de moins en juin 2024, que dix ans plus tôt au même mois (soit 302 780 personnes en catégorie A)6. Mais si on additionne les autres catégories de chômeurs à savoir les travailleurs à temps partiel, ceux qui sont à la recherche d’un travail à temps complet, ceux qui cumulent des missions ponctuelles ou dispensés de recherche active pour cause de formation ou de maladie, le chômage en Auvergne Rhône-Alpes a augmenté (618 400 demandeurs d’emplois, contre 579 110 en juin 2014, soit +6,8%).

En phase avec sa politique économique, Laurent Wauquiez lui a décidé de faire d’Auvergne-Rhône-Alpes une région d’ingénieurs. Le budget de la formation professionnelle a pourtant été siphonné de 15,9% de ses budgets de fonctionnement en 2023 (soit 25 M€). Stéphanie Pernod a choisi de réorienter la formation dans le cadre de la politique de relocalisation. Seules quelques entreprises et filières bénéficient de ses fonds de formation, sur la base de critères qui peuvent interroger : à titre d’exemple, l’académie aéronautique, qui ne semble pas être un secteur appelé à lutter contre le dérèglement climatique, GL EVENTS dont le patron multimilliardaire est un gros consommateur des aides publiques de la Région (48 964 € rien que pour son plan de formation en décembre 2021), NTN-SNR dont les emplois industriels ne cessent de baisser en France depuis 2017 (33 054 € en décembre 2021). En parallèle, les statistiques portées par France travail laissent apparaître des gisements d’emploi non pourvus et des difficultés de recrutement, faute de formation et d’attractivité de ces métiers. Le plan en cours peine à lutter contre les délocalisations7

Si les ingénieurs et cadres d’études, recherche et développement (industrie) ne représentent que 2 790 postes à pourvoir en 2024, c’est bien loin des serveurs de cafés restaurants (14 780), des aides de cuisine et employés polyvalents de la restauration (13 730), des agents d’entretien de locaux (8 970), des agriculteurs (8 510) ; bien loin aussi des difficultés de recrutement de certaines catégories d’emploi : aide à domicile et auxiliaires de vie (79,8% de difficultés de recrutement), conducteurs routiers (60,4% de difficultés de recrutement), autant de métiers qui contribuent à développer une économie de proximité et à servir les besoins directs de nos habitants. Sur tous ces sujets, l’aide de la Région se réduit et le plan pour l’économie de proximité voté au printemps dernier peine à se déployer au-delà des dispositifs existants (aide à l’implantation de commerces de proximité). C’est tout un vivier de croissance économique pour les petites entreprises qui est ainsi négligé. 


Autre parent pauvre des politiques économiques régionales, le bâtiment et les travaux publics qui, à travers les programmes de création de logements sociaux et les chantiers de rénovation énergétique, permettraient de créer des emplois pérennes et de soulager le portefeuille des classes moyennes et des plus précaires. Laurent Wauquiez a réduit quasiment à néant les aides à la construction et à la rénovation énergétique. 

Alors que la maison brûle, que la guerre est aux portes de l’Europe, ne serait-il pas plus responsable de mettre la priorité sur la résilience de notre région face aux régimes tyranniques qui nous fournissent en énergies fossiles ? Derrière la notion de souveraineté sans cesse râbachée dans les discours, on peine à voir la volonté politique réelle de Laurent Wauquiez. Une autre économie est non seulement possible, mais surtout urgente et nécessaire ; une économie plus transparente, plus décarbonée, en phase avec les besoins essentiels de la population, en ville comme à la campagne.


1https://auvergnerhonealpes-entreprises.fr/mission-gourvenance

2https://www.mediacites.fr/enquete/lyon/2022/02/15/chantage-aux-subventions-et-manoeuvres-politiciennes-comment-la-region-a-saborde-mont-blanc-industries/

3https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/04/20/le-voyage-tres-confidentiel-de-laurent-wauquiez-au-japon_6228870_823448.html?lmd_medium=al&lmd_campaign=envoye-par-appli&lmd_creation=ios&lmd_source=whatsapp

4https://www.radiofrance.fr/franceinter/quatre-proches-de-laurent-wauquiez-occuperaient-un-emploi-fantome-au-conseil-regional-d-auvergne-rhone-alpes-6271544

5https://www.academie-aero-auvergnerhonealpes.fr/lacademie-aeronautique-et-spatiale/

6https://mesinfos.fr/42300-roanne/roanne-les-orientations-budgetaires-prevoient-un-programme-d-investissements-de-25-m-187288.html

7https://www.lemonde.fr/politique/visuel/2021/06/10/regionales-2021-en-auvergne-rhone-alpes-une-economie-sous-perfusionen-quete-d-innovation_6083630_823448.html

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