Installation en agriculture, agro-écologie, concurrence mondiale et même réforme des retraites, la visite au Salon international de l’agriculture de Grégoire Verrière et Bénédicte Pasiecznik (membres de la commission agriculture de la région Auvergne-Rhône-Alpes), fut dense mais passionnante.
Avec de nombreux autres écologistes, parlementaires nationaux ou européens, membres de Conseils régionaux et départementaux, Bénédicte et Grégoire ont rencontré les Jeunes Agriculteurs, la Confédération paysanne, Interbev, Interfel, SODIAAL, des éleveurs de notre région présents au salon… Ils reviennent en 4 points sur les enjeux agricoles d’aujourd’hui et de demain.
Le défi de l’installation
Les faits sont là. Un agriculteur sur deux va partir à la retraite dans les dix prochaines années. L’agroécologie constitue un formidable vivier d’emplois verts, mais le métier doit garantir un revenu digne et des conditions de travail décentes pour les
agriculteurs. Pour cela, des mesures nationales et européennes sont nécessaires. Nous avons pu en discuter avec la Confédération paysanne, les Jeunes Agriculteurs ou les interprofessions : en particulier, mesures foncières, revenu avec le renforcement de la loi Egalim, retraites et mise en place de mesures-miroirs aux frontières.
Dans les territoires, c’est l’accompagnement de l’installation et de la transmission qui fait la différence. Les porteurs de projet agricole doivent trouver dans chaque territoire l’accompagnement qui leur correspond, et en particulier pour les porteurs de projets qui ne sont pas issus du monde agricole. Aujourd’hui, la région Auvergne-Rhône-Alpes ne souhaite plus soutenir les actions des ADDEAR, ce sont 800 accompagnements à l’installation par an menacés, soit environ le tiers des candidats à l’installation passant aux Points Accueil Installation. De la même façon, la région Auvergne-Rhône-Alpes se targue d’avoir la plus grosse dotation jeunes agriculteurs (DJA) de France… mais toutes les installations ne passent pas par la DJA pour des raisons d’âge ou de surface d’installation, et surtout cette DJA est désormais majorée en fonction des montants d’investissements, exit les majorations pour les installations hors cadre familial ou basée sur une création importante d’emplois ou de valeur ajoutée. Ce choix politique favorise les installations sur de grosses structures mais ne permet pas de répondre à l’enjeu du renouvellement effectif des générations en agriculture.
L’indispensable priorité à l’agriculture biologique et aux systèmes d’élevage herbagers extensifs
On nous dit aujourd’hui que l’agriculture biologique aurait atteint un plafond de verre. Mais produire sans intrants chimiques n’est pas facile, ce serait une profonde erreur de ne pas le reconnaître. Et car ce n’est pas facile, il est nécessaire d’accompagner la transition. Ce n’est que rendre justice à un mode de production qui respecte l’humain, évite la pollution des eaux et l’utilisation de molécules dangereuses pour la santé, protège l’environnement, et respecte le bien-être animal.
La région Auvergne-Rhône-Alpes doit prendre sa part, en garantissant les débouchés au bio via la restauration dans les lycées, au lieu de se limiter au respect de la loi Egalim.
On nous répète que l’argent public est rare, chaque euro régional dépensé pour l’agriculture doit permettre le maintien et l’installation de paysans et paysannes, déployant des projets agricoles résilient, bons pour la planète, bons pour la santé et les conditions de vie des paysans et paysannes, respectant le bien-être animal et fournissant une alimentation saine. Or, sur l’agriculture, Laurent Wauquiez nous fait de l’en même temps permanent, en soutenant tous les types d’élevage, en mélangeant HVE et agriculture biologique.
Pourtant, chaque euro devrait être conditionné. De nombreuses initiatives existent sur notre région pour un élevage plus respectueux des animaux et des éleveurs, en particulier avec des systèmes d’élevage extensifs nourris à l’herbe, c’est là que les financements régionaux doivent se concentrer, le soutien aux élevages de volaille et de porcs, extrêmement fragiles au niveau alimentaire et ne respectant pas le bien être animal doit être arrêté.
C’est tout le contraire que fait la région fait aujourd’hui avec des plans de filière tous azimuts, sans conditionnalité sur les élevages volailles et porcs et un programme feader à l’envie.
La réforme des retraite arnaque aussi les agriculteurs
Agriculteur est un métier certes passionnant mais également harassant. La réforme des retraites va amplifier la pénibilité, mais au-delà de la fin de carrière, c’est également la transmission des fermes qui se retrouve chamboulée.
En agriculture, une année commencée est une année cotisée en intégralité. Alors quand bien même la réforme vous imposerait de travailler quelques mois supplémentaires, c’est une année complète que vous réalisez pour ne pas que les jeunes repreneurs aient à payer les cotisations de la mutualité sociale agricole.
Trop fatigués pour travailler plus longtemps, certains agriculteurs feraient le choix de supprimer une partie des activités de leur exploitation jusqu’à la retraite, mais cela au détriment de la solidité de la structure pour l’éventuel repreneur.
Du côté des syndicats agricoles, c’est évidemment la levée de boucliers. La Confédération paysanne se mobilise fortement depuis les premières manifestations. Le Mouvement de défense des exploitants familiaux (Modef) a demandé le retrait de la réforme et réclame un régime spécial pour l’agriculture, « du fait de pénibilité, de charges lourdes, des astreintes, des risques liés à la manipulation des animaux, du travail au mauvais temps, des maladies professionnelles ». Quant à la FNSEA, même elle se dit inquiète de l’absence de mesures pour gérer les fins de carrières difficiles ainsi que de la mise en œuvre de la pénibilité.
Quand on sait que les agriculteurs retraités touchaient en moyenne 800 euros par mois en 2020 par rapport aux 1 510 euros de l’ensemble des retraités, on se dit que le chantier reste énorme pour permettre aux paysans et paysannes de vivre dignement de leur beau métier.
Miroir, Miroir
La souveraineté alimentaire est un sujet qui, à juste titre, revient régulièrement dans les écrits et les interventions des différents responsables politiques.
Il est toujours cocasse de lire des envolées lyriques fustigeant les effets pervers de la mondialisation et la concurrence déloyale qu’elle engendre, par ceux-là même qui ont organisé depuis des années la dérégulation des marchés mondiaux. Prenons au hasard un responsable politique de droite aux ambitions élyséennes, Laurent Wauquiez.
Dans l’un de ses derniers billets, il évoque la dépendance de la France vis à vis de l’alimentation et notre fort recours à l’importation, il a raison. Fruits et légumes, viande, pêche : les déficits s’aggravent alors qu’il y a 20 ans, la souveraineté alimentaire française était assurée. Ce constat nous invite à nous pencher sur les leviers à actionner pour enrayer ce phénomène délétère.
- Le renouvellement des actifs agricoles : nous en parlions plus haut, ce sujet est crucial. D’ici une dizaine d’années, près de 45% des agriculteurs vont partir en retraite. Depuis des décennies déjà, en France, le nombre d’exploitations agricoles chute de manière vertigineuse. Avoir des fermes nombreuses, c’est la garantie d’une part part d’avoir des campagnes vivantes, de conserver des fermes à taille humaine, des fermes familiales et de produire une alimentation diversifiée et de qualité.
- L’ultra spécialisation et l’intensification de certaines productions agricoles fragilisent notre agriculture. Le bon sens paysan voudrait qu’on ne mette jamais ses œufs dans le même panier, pourtant dans certaines régions, on fait tout l’inverse. La très forte densité d’une même espèce végétale ou animale dans un même espace la rend plus vulnérable aux maladies, aux parasites, aux aléas climatiques et aujourd’hui avec ce même dérèglement climatique ou la propagation de virus comme la grippe aviaire, notre production agricole se retrouve affaiblie.
- Enfin, la mise en place de mesures miroirs : Dans l’Union Européenne et particulièrement en France, les normes sociales, environnementales et sanitaires sont certainement les plus élevées au monde. Les agriculteurs européens sont donc obligés de respecter certaines règles que les agriculteurs hors-UE ne sont pas contraints de respecter. Tout cela pour assurer la durabilité de nos systèmes agricoles. Cependant, cela crée des distorsions de concurrence au détriment de l’agriculture européenne.
Ces distorsions de concurrence sont d’autant plus prégnantes que l’UE négocie des accords de libre-échange permettant l’entrée sur le marché européen de produits qui ne respectent en rien les normes françaises et européennes. D’ailleurs, il est amusant de constater que Laurent Wauquiez lui-même fustige ces accords, alors même que les députés européens de son parti les votent tous les yeux fermés…
Bref, vous l’aurez compris, les mesures miroirs, qui permettraient d’imposer les mêmes standards de production aux produits importés, seraient un moyen de rééquilibrer les distorsions de concurrence.
Seulement, face à l’effondrement de notre souveraineté alimentaire, quand les écologistes se battent pour installer des paysans, déployer l’ago-écologie nous permettant de mieux faire face aux aléas climatiques et aux ravageurs, se mobilisent au parlement européens pour l’instauration de mesures miroirs, d’autres préfèrent prendre le problème par le petit bout de la lorgnette et tentent de défaire les mesures sociales et environnementales.
Au fil de nos rencontres au Salon de l’agriculture, nous ressortons avec une conviction, c’est qu’une agriculture française, fleuron de la préservation de l’environnement, assurant la souveraineté alimentaire de notre pays et permettant aux paysans de vivre dignement, oui c’est possible.
Article écrit par Grégoire Verrière et Bénédicte Pasiecnzik, conseillers régionaux écologistes.