Opération minibus : une opération clientéliste au long cours

Vous aimez les panneaux bleus de Laurent Wauquiez ? Les minibus aux couleurs de la Région, c’est encore mieux : ça bouge et ça sillonne les routes d’Auvergne-Rhône-Alpes !

L’opération « 300 minibus », c’est à la fois de la communication à peu de frais pour se donner encore plus de visibilité, mais également un super outil de clientélisme pour donner un coup de main aux copains politiques !

La région a compétence pour aider sur le volet Sport et il existait depuis plusieurs années des subventions apportées aux clubs sportifs pour des achats de minibus, comme en 2016 pour JL Bourg-en-Bresse / Grenoble Hockey / FC Lyon Basket Féminin / Oyonnax Rugby / Aix Maurienne Basket…

Lors de la commission permanente de février 2020, la région a décidé d’ouvrir un volet spécifique « acquisition de véhicule de transport type minibus » dans le cadre du dispositif d’aide régionale à l’équipement des clubs sportifs. Le rapport prévoyait alors une participation de 50% plafonnée à 30 000 € pour l’achat d’un véhicule, avec bien sûr marquage du logo de la Région. Au passage, une première salve d’aide était ouverte pour un montant total de 251 280€ à 139 associations.

Un dispositif qui évolue avant la campagne électorale des régionales de 2021

Un an avant la fin du précédent mandat, est votée le 9 juillet 2020 cette expérimentation nommée « Opération 100 minibus » et le dispositif évolue vers des subventions en nature. Le système change : au lieu de donner de l’argent aux clubs sportifs, on donne donc des véhicules directement achetés par la collectivité. 

A l’origine de cette évolution, l’exécutif la justifie par les associations sportives locales qui avaient été fortement éprouvées durant la crise sanitaire : compétitions interrompues, baisse de leurs recettes due à la défaillance de leurs sponsors locaux eux-mêmes frappés par la crise, impossibilité d’organiser leurs manifestations traditionnelles rémunératrices, de nombreux clubs se sont interrogés sur la pérennité de leur activité. 

Alertée par les fédérations mais également par de nombreuses municipalités, la Région a décidé dans le cadre de son plan de relance de l’activité à l’été 2020 de financer l’achat de minibus de 9 places aux clubs sportifs qui disposent de sections de jeunes licenciés : La mise à disposition de véhicules de transport permettait ainsi aux clubs de reprendre leurs activités en soulageant leurs finances, à la fois sur l’achat d’un véhicule de transport et sur les frais de déplacements.

Le minibus à 9 places permettant sa conduite sans permis spécifique, il évite également aux clubs de faire appel à des véhicules personnels pour les déplacements. Nous verrons plus loin que cela n’est pas sans poser des problèmes.

À noter que l’annexe à la délibération précise les modalités d’attribution aux clubs qui semblent à première vue plutôt logiques (affiliation à une fédération agréée par le ministère des sports, club basé en AuRA…) avec un objectif de mutualisation. Cette fois, on ouvre 1,8 M€ d’autorisations de programme au budget, soit 7 fois plus qu’en février, mais on verra que cette somme va complètement exploser (et sera rallongée au fur et à mesure).

À partir de là, c’est parti pour l’attribution en série :

D’abord un objectif de communication globale à bas coût pour l’exécutif…

Si l’idée semble bonne à première vue, elle est surtout une excellente campagne de visibilité pour l’exécutif régional car les minibus, même cédés aux associations, restent obligatoirement floqués aux couleurs de la Région, plus qu’aux couleurs des clubs qui les possèdent…

Par ailleurs, d’un coût moyen de 20 000 €, ces bus sont majoritairement des diesel, ce qui pose la question de leur usage à terme quand beaucoup d’agglomérations doivent répondre aux exigences ZFE. Encore pour l’année 2023, ce sont 271 minibus pour un montant de 6 595 820,28 euros qui ont été fournis à des clubs alors même qu’au 1er janvier 2025 les véhicules diesel verront leur circulation fortement limitée en cas d’épisode de pollution. Quelle utilité alors, d’avoir un bus dont l’utilisation peut être réduite ?

Enfin, ce généreux don s’avère être un cadeau empoisonné : les frais de fonctionnement afférents sont ensuite supportés entièrement par les clubs. Qu’il s’agisse du coût du diesel ou des coûts d’entretien, pas sûr que l’opération soit si bénéfique étant donné qu’un certain nombre de ces véhicules ne sont pas des véhicules neufs. Se pose également la question de la pleine propriété de ces minibus quand la convention interdit toute modification du flocage des véhicules…

… Mais surtout un outil au service des élus de la majorité

Lorsqu’on y regarde de près, et notamment par notre travail d’analyse des attributions de ce second mandat, il s’avère que certaines villes ou agglomérations sont mieux loties que d’autres ! Et que le nombre de minibus semble étrangement lié à la couleur politique de la ville !

En juin 2022, nous décortiquions le compte administratif pour y découvrir l’ensemble des clubs sportifs qui ont bénéficié de cet avantage en nature : exactement 473 structures au 31/12/2021 avaient bénéficié de ce dispositif pour un montant total de 11 144 400,00 €. A cette occasion, nous avons enfin eu les réponses que nous n’arrivions pas à obtenir en commission Sports : quels sont les critères d’attribution de ces minibus ? Eh bien, aucun de sérieux finalement ! 

Sur le graphique ci-dessous, vous comprendrez que le nombre de minibus attribué sur une ville semble beaucoup dépendre de la couleur et de la proximité politiques de son maire avec Laurent Wauquiez ! Valence (15 minibus) dont le maire est vice-président Finances à la Région, ou encore Vichy, et Cusset dans la même agglomération (14 en tout), dont le maire est vice-président aux Transports à la Région ET président de la communauté de communes de Vichy sont des exemples criants ! Et ça marche avec beaucoup d’autres.

Ainsi, lorsque l’exécutif évoque la nécessaire bonne gestion des deniers publics dans le respect de l’équité des territoires, cette maxime ne s’applique pas du tout dans ce cas : la dotation en minibus est extrêmement inéquitable au regard du poids démographique de la commune – la taille des bulles du graphique ci-dessus vous permet d’apprécier cette différence notable !

Pour exemple, Roanne (maire LR), petite ville de 34 831 habitants, est ainsi irriguée de 12 minibus, soit 1 minibus pour 2 902 habitants, quand Annecy (maire écolo), ville de 131 766 habitants, n’en dispose que de 5, soit 1 minibus pour 26 353 habitants !

Le powerpoint complet ici des données 2021

Des données erronées dans les annexes financières en guise de réponse !

En juin 2023, nous avons décortiqué une des annexes du compte administratif et découvrons à nouveau 166 minibus de plus attribués au 31/12/2022 pour un montant total de 3 128 644,00 euros, avec de bien curieux doublons… (cf. fichier données consolidées CA 2022)

Lorsque nous avons signalé ces incohérences, nous nous sommes entendu répondre qu’il y avait eu des erreurs de « copier/coller » entre les données de 2021 et 2022 ! Un comble pour un document présenté et voté en assemblée plénière qui atteste des dépenses réelles de l’année 2022… Et la confirmation qu’il n’y a que 8 clubs qui ont bénéficié de 2 minibus (hors sections multisports ou gros clubs de foot et rugby qui peuvent avoir plusieurs équipes présentes dans des compétitions), mais dont nous n’avons toujours pas le nom !

Pire, à notre demande par courrier de voir reproduire des annexes rectifiées avant la présentation du compte administratif de l’année 2023, il nous a été répondu qu’une telle consolidation n’est pas possible. De quoi faire bondir tout gestionnaire de base de données qui sait bien combien il est simple de définir des critères et d’exécuter des requêtes en un clic.

En juin 2024, fidèles à notre habitude, nous avons donc réétudié les annexes financières et en avons dressé un nouveau bilan (cf. fichier données CA 2023). De nouveaux noms de clubs apparaissent, mais également des anciens…

Le département de la Haute-Loire est là encore très bien doté, comme le montre le graphique ci-dessous (échéance électorale avec les législatives oblige ? Le doute est permis) alors que ce département a déjà raflé 26 minibus en 2021 et 8 en 2022. Mais dispose-t-il de 64 clubs sportifs ou associations de loisirs ?…

Des interrogations subsistent

Comment justifier que des clubs de golf ou de pétanque puissent bénéficier de minibus lorsqu’ils ne disposent pas de section jeunes ? Pourquoi encore des doublons ? 

Nous restons dubitatifs sur les critères d’attribution au regard de ce que nous constatons et des réponses évasives de la part de l’exécutif, notamment sur la date de fin de l’expérimentation “officielle” qui autorisait 2 minibus par structure, quand nous avons le sentiment qu’il y en a visiblement beaucoup plus.

Si seulement Laurent Wauquiez avait fourni des minibus propres, nous pourrions presque nous en féliciter, mais ce sont des minibus à moteur thermique et, en tout, il y a maintenant sur notre territoire 920 minibus qui polluent aux couleurs de la Région.

Le premier reproche, et pas des moindres sur ce dispositif, reste le problème de la responsabilité du conducteur.trice le plus souvent bénévole. Quid de sa responsabilité pénale et surtout morale envers les membres d’une famille, touchés par un drame routier impliquant un minibus ? Comment peut-on se substituer à des chauffeur.es professionel.les qui sont formés et respectent des règles drastiques (temps de repos, sécurité, …) avec l’assurance de monter dans un véhicule en état et de gagner en confort pour les utilisateurs ?  

Rappelons ensuite que le minibus reste un appoint, en particulier pour les sports collectifs :combien en faut-il pour une équipe de hand, volley ou basket? 3 si on compte le staff et les dirigeants par exemple, en ce qui concerne les équipes de foot ou de rugby. 

A la question, que proposerions-nous ? 

Véritable outil sur des territoires ruraux où les mobilités sont un frein et où les alternatives sont rares (Drôme, Ardèche), le dispositif tel qu’il a été pensé par l’exécutif a eu un réel succès car il répond à la problématique des déplacements des équipes vers des compétitions. A cet argument, l’équité territoriale tant clamée par l’exécutif ne résiste pas à la comparaison : le Cantal, ou l’Allier (hors agglomération de Vichy/Cusset) ne sont pas particulièrement bien dotés. 

Pour les clubs importants (foot, rugby, …) ou les associations multi-loisirs, la Région aurait pu financer un conventionnement avec les autocaristes de notre région pour assurer le transport des grands clubs dans de meilleures conditions de sécurité ; cela aurait également permis de diversifier l’activité des transporteurs de cars de notre région.

Pour les clubs plus modestes, la Région aurait pu également mettre en place des dotations spécifiques pour aider les clubs à financer leurs déplacements, en fonction du nombre de licenciés, du niveau de compétition, etc. Bref, d’une idée qui peut paraître séduisante, on se rend vite compte qu’il y avait d’autres alternatives ; le recours à des autocars avait également l’avantage de proposer à tous les membres d’un club, mais également leurs parents, bénévoles, … de se déplacer sur une compétition et ainsi de s’investir dans la vie du club et le soutien aux équipes. 

Pour finir, certains clubs commencent à déchanter quant aux frais d’entretien (révisions, mais également dépenses d’équipement comme les pneus d’hiver requis dans beaucoup de nos départements en Auvergne-Rhône-Alpes !) et bien sûr à l’augmentation des dépenses de carburant.

D’autres solutions étaient donc possibles, mais ces dépenses de fonctionnement sont moins visibles pour les potentiels électeurs et électrices et auraient été moins vertueuses pour afficher des ratios financiers favorables : rappelons que la région se vante « d’investissements record » et de la baisse des « dépenses de fonctionnement » depuis 2015. Cette politique illustre bien la vision court-termiste de l’exécutif qui n’est pas capable d’évaluer ces investissements au regard de leurs externalités négatives ou de leur bilan carbone néfaste.

Enfin, cette politique rentre également en totale contradiction avec l’image de « la région la mieux gérée de France », puisque les objectifs pieux de recherche « d’équilibre territorial » ou de « mutualisation des coûts » sont démasqués par la réalité que nous vous dévoilons ici.

Décidément, les minibus, c’est l’exécutif pris en flagrant délit de roue libre !

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