Monsieur le président, cher.es collègues,
Ce compte administratif 2024 tient lieu du mirage. Il laisse penser que les résultats sont impeccables et annoncent ainsi une très bonne santé financière. Le tableau apparaît trop propre, pas une brindille d’herbe venue se coller à l’œuvre magistrale.
- épargne brute portée à 902 millions, 35 millions de plus que l’année passée
- capacité de désendettement à 2,8 années.
- Et puis, zéro, autre chiffre emblématique de ce compte administratif.
Zéro fiscalité supplémentaire, une de vos règles d’or.
Avec ces chiffres, vous pouvez continuer à dire que la Région, dirigée par la droite ultra-libérale est toujours la meilleure région de France. On lit même dans le rapport que la Région est désormais meilleure que l’Etat.
Le choix de réinjecter en investissement plus du quart des recettes perçues en fonctionnement pour ne pas s’endetter, c’est se priver de moyens. Avec cette augmentation artificielle de l’investissement, vous n’empruntez pas plus pour ne pas dégrader les ratios mais on constate aussi une baisse des investissements en action économique, sur les lycées et les transports.
En matière de recettes, vous choisissez de ne pas augmenter la fiscalité, mais dans un contexte de perte de dynamique des recettes cela interroge. 2025 suit la fameuse règle d’or et le versement mobilité a été balayé d’un revers de main, mais de l’autre vous allez ponctionner sans difficulté auprès des familles pour payer le coût de l’harmonisation de la tarification des transports scolaires. Tout le monde n’est pas vraiment épargné.
Nous souscrivons au rappel du Ceser : de bons ratios ne sont pas une fin en soi. Ces chiffres n’ont pas de prise avec le réel, ils servent un récit que vous voulez construire.
Ce récit, c’est de pointer des personnes qui ne répondent pas à vos standards professionnels. En formation : l’abandon des publics demandeurs d’emploi et la stagnation des budgets dédiés à l’insertion des jeunes depuis 4 ans. Et même pour les formations sanitaires et sociales, vous maintenez les subventions au même niveau depuis 2 ans, soit une réduction effective de moyens pour ces métiers tellement en tension.
Ce récit, c’est votre traduction de la crise agricole 2024 : “trop de normes environnementales, surtransposition des directives européennes, concurrence déloyale”. Aucune mention des revenus, de l’adaptation à la réalité du dérèglement climatique qui peut dégrader en un coup de grêle tout un outil de travail. Au contraire, cette vision entretient un modèle fondé sur l’agrochimie, qui vous paraît peut-être encore booster la productivité, mais en réalité épuise les sols, détruit le vivant et a une lourde empreinte carbone. Ces éléments sont scientifiquement admis.
Finalement, à nier la réalité, vous allez bientôt arriver à nous dire que la Terre est plate : voulant faire passer cette ineptie pour une vérité. Comme vous voulez faire passer l’Office français de la biodiversité pour la source de tous les maux des agriculteurs.
D’autres choix sont possibles. D’autres collectivités font des choix plus en responsabilité face à la réalité d’un monde que vous semblez ignorer. La Métropole de Lyon agit clairement en bouclier social et pour la Transition écologique avec des investissements massifs en rénovation thermique des collèges, en transports publics, ou en mur anti-bruit aux abords de routes à trafic trop dense.
Avec le même montant d’investissement, sans toucher aucun de vos ratios, il est pourtant possible de faire différemment et accompagner plus volontairement l’agriculture pour permettre de mieux préserver la ressource en eau, dont les indicateurs sont au rouge, garantir une production agricole locale, garantir des revenus issus du travail et ainsi une alimentation locale dans le respect du vivant et des personnes.
Vous auriez même pu, et cela depuis longtemps, aller légèrement mobiliser de l’emprunt, toucher légèrement la dette, sans que le fameux AA++ ne soit affecté, vous auriez pu dégager 1 milliard supplémentaire sur le mandat qui aurait permis d’aller beaucoup plus vite sur des investissements d’avenir structurants.
Vous auriez pu choisir d’activer plus rapidement et massivement de nouvelles commandes de rames de trains pour offrir un meilleur service aux voyageurs. Or les investissements 2024 relèvent 134 Millions d’Euro pour le matériel ferroviaire, dont 53 correspondent à l’achat des rames commandées en 2019. Vous avez pris un retard monumental sur l’achat de nouvelles rames et auriez pu aller au même rythme que l’augmentation de la fréquentation des TER. Même les promesses de commandes de la feuille de route ne se traduisent pas encore dans les stocks d’autorisations de programme.
Peut-être faudrait-il suggérer un nouveau ratio budgétaire fondé sur l’art des promesses : parce qu’à celui-ci encore vous obtiendrez probablement la palme.
Les lycées représentent encore 52% des émissions de CO2 du patrimoine et des activités de notre collectivité, soit plus de la moitié de l’empreinte carbone de la région, comme nous le lisons dans le rapport d’activité. Comment est-ce possible au bout de presque 10 ans de mandat et 2 plans d’investissement censés rénover les lycées ?
Le rejet de Co2 a pourtant un impact tangible sur nos vies aujourd’hui, et cela va s’accélérer dans les années à venir. M. le VP a dit en commission “on a une bonne santé financière, on peut agir en cas de problèmes => Quel problème attendez-vous donc ? Nous avons face à nous un problème majeur, documenté, scientifiquement étayé, qui n’épargnera personne. L’origine humaine de ce dérèglement est aujourd’hui totalement admise par la communauté scientifique. C’est donc le moment d’investir.
Vous réussissez à construire des croyances éloignées de l’intérêt général. Vous saturez les esprits de fausses informations plutôt que de soutenir la capacité à construire une information libre et éclairée
Vous coupez ainsi les budgets culture, jeunesse, vie associative.
Ce n’est pas une nouveauté. Ce sont des choix anciens, mais qui aujourd’hui témoignent de ce glissement idéologique.
Le budget constant masque des coupes énormes sur le soutien au spectacle vivant, qui irrigue nos territoires au profit d’investissement sur des grands projets ou du patrimoine. Mais où va s’arrêter ce raisonnement ? Ne serez-vous satisfaits que le jour où vous aurez érigé une statue à la gloire de l’ancien président ?
Vous indiquez que vous financez les acteurs de la jeunesse et la vie asso : aucun montant, c’est plus facile que d’indiquer les vrais chiffres = zéro pour le réseau Infos Jeunes, zéro pour le mouvement associatif et les réseaux d’éducation populaire => en somme zéro pour encourager l’émancipation, celle qui fait sortir d’une tutelle de pensée, celle qui permet de penser par soi-même. C’est ce qui a mon sens entre dans ce que le CESER appelle un investissement d’avenir, car il y a des investissements d’avenir en dépenses de fonctionnement.
Ce compte administratif traduit une idéologie conservatrice, réactionnaire, aveugle au réchauffement climatique et annonciateur d’un déplacement toujours plus à droite, peut-être imperceptible aux yeux de beaucoup de personnes, qui ne fait que se confirmer en 2025, dans vos décisions, vos prises de paroles, la manière même dont sont désormais organisées nos assemblées.
Comme le disait Hannah Arendt, “entre le désespoir et la lucidité, je continue à préférer la lucidité” = elle permet, malgré les horreurs et l’asservissement que souhaiteraient certains, de continuer à penser le monde.
Ce compte administratif 2024 tient lieu du mirage. Vous dites financer les acteurs de la jeunesse et la vie associative : aucun montant, c’est plus facile que d’indiquer les vrais chiffres. Zéro pour encourager l’émancipation.